Un panel d'historiens, de sociologues et de personnalités syndicales, à l'instar de Nacer Djabi, René Gallissot et Boualem Bourouiba, ont débattu, hier à l'université des sciences humaines à Bouzaréah (Alger), de la relation entre les mutations sociales et le syndicalisme, à la lumière de l'expérience algérienne durant l'occupation française. Cette conférence initiée par l'Association algérienne pour le développement de la recherche en sciences sociales (Aadress) coïncide justement avec la parution, début avril, d'un ouvrage en deux tomes de l'historien français René Gallissot qui a répertorié quelque 500 fiches biographiques de militants syndicalistes algériens durant l'époque coloniale. L'intervention de M. Bourouiba a été pertinente, puisqu'il s'agit de l'un des fondateurs de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le 24 février 1956. Il souligne que dès les années 1940, la nécessité se faisait sentir pour compléter le mouvement politique par un mouvement syndical. M. Bourouiba indique également que, juste après les événements du 8 mai 1945, la CGT s'est scindée avec la création de la Force ouvrière. Ainsi, Aïssat Idir et Flici, entre autres, avaient pensé à la création d'un syndicat national. La création de l'UGTA avait provoqué une vague d'arrestations de militants et de responsables syndicalistes. L'orateur affirme que l'objectif fixé en 1962 consistait à faire redémarrer l'économie du pays. Il avoue, par ailleurs, que la première expérience pour faire fonctionner l'UGTA démocratiquement a échoué devant les tenants du pouvoir et la mainmise de l'Etat parti. Nacer Djabi, lui, a parlé de l'expérience syndicale en Algérie, en citant l'exemple édifiant de Lakhdar Kaïdi, né en 1923 à Mila, d'une famille modeste, mais devenu un syndicaliste de renommée mondiale. Concernant la situation d'aujourd'hui, le conférencier s'interroge sur l'inexistence d'une corrélation positive entre les mutations sociales et les changements politiques. Pour lui, le mouvement syndical se trouve actuellement devant une phase marquée par une mutation de l'UGTA et la naissance du syndicalisme autonome. « L'UGTA est vidée de sa base avec les licenciements qui ont touché quelque 500 000 travailleurs », illustre-t-il. En outre, il relève une contradiction qui caractérise la centrale syndicale, puisqu'elle est le syndicat de la main-d'œuvre non qualifiée, mais en même temps le syndicat des travailleurs qualifiés dans des secteurs de pointe (finances et Sonatrach). La faiblesse de l'UGTA, ajoute l'orateur, réside dans la fait qu'elle est implantée surtout dans le secteur public et que son seul partenaire est l'Etat. Quant au syndicalisme autonome, M. Djabi relève que ce mouvement est né au sein de la classe moyenne (salariés des secteurs de la santé, éducation, pilotes…). « Les syndicats autonomes reflètent la crise qui frappe la classe moyenne », dira-t-il. Ces derniers ne sont pas exempts de critiques puisque, explique-t-il, ils sont trop corporatistes et non conscients des mutations sociales. M. Djabi n'a pas manqué de lancer cette interrogation : « Le mouvement syndical actuel pourra-t-il encadrer les mutations sociales en cours ? » Prenant la parole, l'historien français René Gallissot s'est appuyé sur ses deux tomes – Algérie, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (1830-1962) et Algérie colonisée, Algérie algérienne (1870-1962), édition Barzakh – pour conclure que les mutations sociales étaient derrière les itinéraires des syndicalistes. Il explique que le syndicalisme durant la période coloniale se scinde en trois étapes. Début du XXe siècle marqué par les bourses du travail (marché du travail) et les grèves des métiers dont celle menée par les éboueurs. Les années 1930 et 1940 sont marquées par les mouvements de grève des transports dont les dockers, les cheminots et les traminots (grève des cheminots d'El Ouenza à l'est du pays). Puis vient la naissance du front populaire et les métiers à statut qui constituaient le fief des cadres syndicaux et militants politiques.