L'Algérie et le monde de la chanson arabe sont endeuillés par la perte soudaine de leur diva, celle qu'on appelle la princesse du « Tarab El Arabi ». Ouarda El Djazairia nous quitte dans la plénitude de sa gloire A soixante-douze ans, elle se remet en costume de scène pour entonner « Bladi » un refrain prémonitoire qui renvoie au tout premiers pas de la Diva qui, de son humble café théâtre le Tam Tam de la rue de la Huchette à Paris entonna le chanson de l'exil par « Ya meraouah Lel Blad ». Signe avant-coureur d'un long exil en Egypte où elle s'affirma dans une poignante dualité avec Oum Kalthoum, Souad Mohamed et d'autres icônes du texte arabe. Elle a chanté pour tous les grands compositeurs du siècle, Kamel Etaouil, Mohamed Abdelouahab, Tantatoui, Sambati et, enfin, Baligh Hamdi, celui qui prend Ouarda pour en faire le bouquet fleuri de toute la chanson arabe. La patrie qu'elle portait tant en son cœur revient très souvent dans son répertoire lyrique. Algérienne jusqu'au bout des ongles, elle s'imposa dans le cercle très fermé de Abdelouahab et disputé la palme aux meilleures Moutribate. Dans le tout premier clip du chant patriotique arabe « Watani Habibi », en 1962, la jeune Ouarda, à 22 ans, fait sienne la partie algérienne sur le soulèvement. Une étoile précoce est venue illuminer les studios Misr, même en comédienne elle s'est distinguée dans le fameux film de « Dananir » et tant d'autres feuilletons. C'est la chanson arabe qui la rend maîtresse des lieux, l'incontournable Ouarda est sollicitée à chaque échéance pour chanter l'Algérie. Cette dame à la rose, qui a tant donné pour préserver la bonne image d'une Algérie vient de ponctuer un demi-siècle d'histoire sur une note d'inachevé pour s'éteindre à la veille de la commémoration du cinquantenaire de l'indépendance : le destin d'une artiste rompu à un militantisme patriotique qu'elle porte en elle depuis les toutes premières heures de son exil parisien. Sous les feux de ce long périple migratoire, Ouarda pleine d'allant et de mobilité, mordant dans son riche répertoire identitaire n'a pas fini d'étonner en revenant sur scène pour la énième fois partager sa joie dans les siens pour ensuite les quitter sur une note de « Mazalna Ouakfine » (on est toujours debout). Elle est repartie au Caire, comme rappelée par un destin féerique d'une étoile filante s'éteignant dans le firmament. Dans le faste du boum culturel de l'Egypte, sur les bords du Nil, les compositeurs se sont disputés la diva, à qui mieux captivera sa belle voix dans de magnifiques iliades que le temps n'est pas près d'effacer, « Fi youm ou lila » , une chanson culte qui a même fait le tour du palais Koube au Caire, rappelant fort bien l'amour interdit de Berlanti Abdelhamid, la sulfureuse actrice sur lequel reposait tout le destin d'une Egypte marquée par la personnalité de Sherazade. C'est en mille et une nuits que Warda remit Paris dans son sac, dans un français châtié, elle n'hésite pas à renouer avant un ancien répertoire lui rappelant les années de bohême où il faisait bon côtoyer tous les artistes du monde dans un climat parisien gagné par la fièvre maghrébine. Fin d'époque pour la dernière templière de la grande chanson arabe. Il faut savoir quitter la table quand l'amour est desservie. Ouarda a tout donné, son cœur a cessé de battre pour aller rejoindre une constellation d'étoiles brillantes devant l'Eternel.