Yasmina Khadra est cet écrivain qui a l'écriture dans le sang. Son parcours littéraire brillant et remarquable en témoigne. Pourtant, l'écriture n'était pas la raison de vivre du jeune Mohamed Moulessehoul, de son véritable nom. Il a entamé une carrière militaire et il était loin donc de devenir écrivain. C'est progressivement qu'il s'est affirmé, rencontrant de nombreux obstacles. Ses œuvres littéraires ont tout de suite acquis un grand succès populaire. Cette réussite a affirmé davantage sa volonté d'écrire. Son dernier roman vient de paraître. Yasmina Khadra nous donne dans cet interview quelques étapes de sa carrière littéraire. Celle qui a commencé dans les années 1980 avec cette publication d'un recueil de nouvelles éditées chez la défunt ENAL (Entreprise nationale du livre, issue de la restructuration de l'ex SNED. C'était en 1984 que «Houria» parait avec 6 textes ; déjà empreint de questionnements philosophiques et chargé de beaucoup d'humanisme. Mais Yasmina Khadra qui signait alors Mohamed Moulessehoul, préfère oublier ce premier épisode de son cheminement littéraire. Il l'explique que ce n'est point là un reniement. Mais il regrette que ce petit ouvrage soit truffé d'erreurs dont il se souvient encore. Lui le perfectionniste, tient à se lire, se relire et à se relire comme pour L'Olympe des infortunes qu'il a écrit en 1990 mais il a par la suite revu le contenu, pas dans son entité mais dans son écriture. Pourtant, dit-il, il a cette facilité d'écrire. D'ailleurs au Centre culturel Algérien de Paris dont il préside les destinées depuis deux ans, même s'il avoue ne plus avoir à son grand regret le temps d'écrire des romans, il n'en demeure pas moins qu'il rédige comme un éclair le quotidien dont il a la charge. «je me met derrière le micro et cela vient naturellement». Un autre naturel dont il ne peut se départir, la lecture ! Dont il est un grand mordu et un fin gourmet. Il lit depuis son enfance. Mieux encore. A la question de savoir si un militaire avait ce temps de lire et ce réflexe d'avoir un livre de chevet. Il répond qu'en ce qui le concerne, du temps où il était à la caserne ses responsables le charriaient avec les poches pleines…. de livres ! Et son auteur algérien de référence qui l'a toujours accompagné est incontestablement Malek Haddad auquel d'ailleurs il rend hommage tout en regrettant que cet auteur ne soit pas assez mis en relief et auquel il n'a pas été donné toute la considération qu'il mérite. Une question que tout le monde se pose : Vous avez adopté un pseudonyme féminin. Puis vous choisissez de rompre le silence. Expliquez-nous justement pourquoi vous continuez de signer de ce pseudo ? Mathématiquement, je ne peux plus m'en passer. C'est un nom qui est adopté partout dans le monde. Les gens se sont familiarisés à cette signature. Un repère pour beaucoup de gens. En plus, cette signature fait aujourd'hui ma fierté, une petite révolution dans les mentalités. Comment expliquez-vous le succès de vos œuvres littéraires ? Est-ce la forme ou le fond qui suscite l'intérêt de vos lecteurs ? Je crois que la langue que j'utilise plait aux lecteurs. Ces gens là ont découvert une langue, ils l'ont apprécié. Il faut savoir qu'il n'est pas facile de s'imposer surtout lorsqu'on ne vient pas du Monde occidental. L'écriture littéraire n'est pas une question de chance, mais le fruit de la persévérance, d'un travail régulier permanent et engagé. Dans votre carrière littéraire, vous avez rencontré de nombreux obstacles, des envieux, des gens mal intentionnés et aussi des épreuves rencontrées auprès des éditeurs. Comment avez-vous surmonté ces difficultés ? Le plus naturellement du monde. Je crois en ce que je fais, car le reste m'importe peu. Il est vrai que l'on ne peut pas plaire à tout le monde, cependant mes écrits sont appréciés partout. Vous êtes actuellement à la tête du centre culturel algérien à Paris (CCA). Comment conciliez-vous les obligations et les charges de votre institut avec votre volonté d'écrire ? Je ne vous cache pas, j'assure mes obligations de directeur du centre culturel algérien à Paris (CCA) au détriment de mon travail d'écrivain. Cela fait deux ans que j'assure cette responsabilité et je n'ai écrit aucun livre. D'ailleurs mon dernier livre «L'olympe des infortunes», je l'ai écrit en 1990. Revenons à cette derrière œuvre littéraire. Pourquoi avez-vous choisi de relater l'histoire de personnes marginalisées par la société ? Le devoir d'un écrivain est d'essayer de donner une éthique à ceux qui ne l'ont pas. C'est aussi une manière pour moi de venger ces marginaux et ces misérables de leurs conditions humaines, leur rendre un hommage et d'en faire des héros dans cet ouvrage. Dans le préambule de votre livre, vous citez Pierre André Boutang. Quel est l'hommage que vous voulez lui rendre ? Présentez-le au lecteur Pierre André Boutang est un journaliste français qui travaillait à ARTE. Dans les années 2001 et 2002, il est venu me voir Aix en Provence et il m'a consacré un reportage d'une durée de 30 minutes alors qu'un reportage ne doit pas dépasser les 15 minutes. J'estime que ce soutien est extraordinaire. C'est pour cela que voulais lui rendre un hommage à lui et à tout ceux qui ont cru en moi dans des périodes difficiles de ma vie. Dans ce même préambule, il y a une très belle citation de Omar Khayyam. Cette pensée est-elle en concordance avec les questions et le sujet traités dans votre roman ? La vie que je menais était tellement exécrable et injuste que la seule façon pour moi de la surmonter était de croire en ces mots, à ce poème. La preuve, le poème d'Omar Khayyam m'a continuellement accompagné depuis mon jeune âge. Aujourd'hui, c'est devenu ma philosophie. «Si tu veux t'acheminer vers la paix définitive souris au destin qui te frappe et ne frappe personne». Vous avez réfuté tout plagiat de vos œuvres, lors d'une conférence de presse donnée en marge de la 3e édition du festival culturel international de littérature et du livre de jeunesse (FELIV) qui se tient en ce moment à Alger. Quelle est cette réaction ? Il n'y a absolument rien à dire à ce sujet, du moment que c'est un «commentaire» posté sur un site web par un jeune piètre écrivain. Il m'accuse d'avoir plagié un auteur algérien dont j'ignore même le nom. On ne sait pas ce qu'il veut et à quoi il aspire. Il est convenable de comprendre que la littérature est une hiérarchie. Il y a des écrivains extraordinaires et il y a des écrivains ordinaires. Ces derniers n'admettent pas qu'ils ne pourront jamais atteindre l'audience d'autres écrivains meilleurs qu'eux. Moi, il m'a fallu écrire neuf romans pour me faire connaître du large public. Une question subsidiaire. Quel est votre sentiment face à l'interdiction de certains intellectuels algériens face à l'organisation de la caravane à la mémoire des 50 ans de la disparition d'Albert Camus ? Ma réaction est dérisoire. Finalement ce sont eux qui ont réussi. Ce que je déplore, en outre, c'est la lâcheté que nous avons montrée au monde. Malek Bennabi avait dit une belle phrase «Il y a les colonisés et les colonisables». A propos de la polémique du film « Hors la loi » de Rachid Bouchareb, Comment la percevez-vous ? Je regrette que l'on polémique sur ce film avant même sa sortie officielle. A vrai dire, je n'ai pas eu l'opportunité de le visualiser mais j'ai eu de bons échos sur ce film, il permet d'élargir la réflexion et d'aller au fond des choses. Rachid Bouchareb est un excellent réalisateur et il a beaucoup d'avenir au vu de toutes les belles œuvres cinématographiques qu'il a réalisés. Et il dérange. Selon certaines indiscrétions, vous devriez sortir en mars un autre roman. Qu'en est-il ? Il y a eu un quiproquo. J'ai écris ce livret dont le titre est «La langue noire d'un repenti» de 15 pages. Il était destiné au cinéma. Je ne le conseille pas aux lecteurs, parce qu'il est fixé à un prix exagéré. Il est à 7 euros. Un mot pour la fin ? Il n'y a jamais de fin.