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Entretien-Mohamed Senouci, climatologue : «La gouvernance mondiale a prouvé ses limites»
Publié dans Horizons le 04 - 06 - 2010

L'adaptation aux impacts des changements climatiques est une question immédiate. C'est un enjeu scientifique majeur pour l'avenir. Pour les spécialistes des questions environnementales, aux causes naturelles se sont ajoutées des causes d'origine humaine. La crainte majeure serait qu'au-delà d'une certaine limite (inconnue), nous risquons de nous trouver devant une situation inédite, une sorte de terre inconnue. C'est l'avis de l'expert M. Mohamed Senouci, membre du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'Evolution du Climat (GIEC) , Association de recherche ; climat environnement. Un dialogue mondial a été engagé, depuis des années déjà. «Mais la problématique demeure donc entière à la veille de la prochaine conférence de Cancun en décembre 2010» a regretté M. Senouci, dans un entretien accordé au quotidien Horizons. La communauté internationale, s'appuyant sur les prévisions des scientifiques et climatologues surtout, se fixe depuis des années comme priorité, l'adaptation aux changements climatiques. Que signifie exactement ce phénomène ?
La première période d'engagement vient à expiration en 2012 et rien ne présage de son extension future. La « feuille de route » de Bali traduisait clairement la difficulté de parvenir à un accord fort à la Conférence de Copenhague qui a montré les limites de la gouvernance mondiale dans le domaine du climat. La problématique demeure donc entière à la veille de la prochaine conférence de Cancun en décembre 2010.
La question des changements climatiques repose sur deux dimensions essentielles : l'atténuation des gaz à effet de serre comme moyen de lutte contre la cause et l'adaptation aux impacts des changements climatiques comme stratégie de lutte contre les effets. Les deux aspects sont distincts mais complémentaires. Il faut donc les analyser dans leur contexte particulier, à savoir que l'atténuation des gaz à effet de serre est un enjeu de long terme qui engage la responsabilité première des pays industrialisés, ce qui n'exclut pas que les grands pays émergents seront certainement poussés dans cette voie à moyen terme. En revanche, l'adaptation aux impacts est une question immédiate, qui risque de s'aggraver à moyen terme et qui concerne directement les pays en développement. S'adapter signifie connaître la nature des impacts potentiels et prendre les mesures qui permettent d'en réduire les effets sur l'homme. Il s'agit donc d'une question transversale, plurisectorielle, qui s'appuie sur des arguments scientifiques et techniques pour éclairer les décisions politiques et socio-économiques. Du point de vue scientifique, les travaux de référence ont porté essentiellement sur l'échelle planétaire car il fallait répondre en priorité à la question du réchauffement climatique global. Nous sommes bien moins armés pour répondre aux questions des impacts donc de l'adaptation. C'est un enjeu scientifique majeur pour l'avenir.
Pourquoi le réchauffement de la planète devrait, selon les spécialistes, se limiter à une hausse de 2degrés ? Est-ce un phénomène naturel et normal comme le prétendent bon nombre de climatologues ?
A vrai dire, les scientifiques n'ont pas fixé de limite précise. Si vous faites référence aux travaux de synthèse du GIEC (Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'Evolution du Climat), les scientifiques ont établi une fourchette d'évolution probable de la température moyenne du globe à l'horizon 2100, incluant le type d'impacts sur les écosystèmes ou le développement. Conformément aux principes directeurs du GIEC, il n'y a pas de « directives » du GIEC face à de tels risques. Ceci est l'affaire des décideurs politiques et des sociétés. La science fournit des éléments de connaissance et tente de situer les niveaux de risques. La limite de 2°C a été reprise par diverses instances, y compris les médias, mais elle n'a pas été fixée par les scientifiques.
Qui en est responsable ?
En tant que tel, le réchauffement ou le refroidissement global de la planète est un phénomène climatique de long terme tout à fait normal. A l'échelle géologique, la planète a connu une alternance de telles périodes. Le réchauffement actuel se distingue par sa rapidité, son ampleur et le lien maintenant établi avec une concentration jamais atteinte de gaz à effet de serre. En d'autres termes, aux causes naturelles se sont ajoutées des causes d'origine humaine. La crainte majeure serait qu'au-delà d'une certaine limite (inconnue), nous risquons de nous trouver devant une situation inédite, une sorte de terre inconnue.
Que pensez-vous du discours de ceux qui qui mettent en doute l'origine humaine dans les changements climatiques, à l'exemple de M. Claude Allègre ?
En effet, nous assistons depuis quelques mois, à une vague sans précédent de critiques virulentes des conclusions du GIEC. M. Allègre en est devenu l'une des figures marquantes en France. Pour replacer tout cela dans un cadre rationnel, il faut d'abord noter que ce débat a entretenu de grandes confusions. Volontairement ou non, on a confondu GIEC et science. Le GIEC ne fait pas de science en son sein. Il est chargé d'élaborer des synthèses régulières basées sur les travaux scientifiques menés dans le monde. Une telle mission se fait à titre bénévole et il faut 5 à 6 ans pour établir un rapport global du GIEC (le 4ème a été présenté en 2007). Le GIEC s'en tient à ce qu'on attend de lui, à savoir établir une sorte d'état de l'art dans ce domaine. En soi, aucune expertise n'est une vérité absolue, mais il faut reconnaître que les rapports du GIEC tentent avec plus ou moins de succès d'inclure toutes les incertitudes, et elles sont nombreuses, qui continuent de peser sur l'évaluation des connaissances dans ce domaine complexe. Mais d'un autre côté, de grandes avancées ont été obtenues au cours des vingt dernières années en matière de systèmes d'observations du climat ou de modélisation.
Ce n'est pas une affaire de climatologues seulement, mais bien un travail pluridisciplinaire qui couple plusieurs compétences scientifiques. Notons que les travaux du GIEC se déroulent dans un cadre ouvert qui permet à tout moment de tenir compte de tous les avis qui peuvent être exprimés. Ce système n'est sûrement pas parfait, car il n'a pas empêché des erreurs de subsister dans le rapport. Le nombre et la nature de ces erreurs est en fait tout à fait minime. Elles ont fait l'objet d'une rectification immédiate et des mécanismes nouveaux seront mis en place pour le prochain rapport. Par contre, il est légitime de se poser la question des motivations de certaines critiques des «climato-sceptiques» dont certains reconnaissent pourtant la réalité du changement climatique et des risques qu'il présente pour l'humanité. C'est le cas de M. Allègre qui semble s'attaquer au fait que d'autres questions sont plus urgentes, mais ce n'est pas aux climatologues de fixer de telles priorités. C'est aux gouvernements de le faire. Pourquoi donc tenter de décrédibiliser toute la communauté scientifique? Pourquoi s'appuyer sur des méthodes douteuses comme le piratage d'emails ? Pourquoi refuser un débat scientifique mené dans un cadre académique approprié et multiplier les effets médiatiques ? Il ne faut peut-être pas accorder plus d'importance à ce débat qui présente au moins l'intérêt de réanalyser les liens entre la science et la décision politique.
Consciente des dangers de ces changements, cette même communauté se contente de dénoncer le rôle de l'homme sur le climat sans rien faire. Pensez-vous que l'application du protocole de Kyoto ainsi que la convention de Bali et les timides mesures prises en décembre dernier à Copenhague limiterait les dégâts ?
Lorsque la question des changements climatiques a commencé à recevoir une attention méritée, les pays ont mis en œuvre la Convention Cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques en 1993. Il est légitime de penser qu'un tel problème ne peut trouver de solution globale que dans un cadre multilatéral de négociations internationales. Près de vingt ans après, on se rend compte de la difficulté pour les pays à trouver un équilibre entre la défense de leurs intérêts et la préservation de l'environnement global. Signé en 1997 et effectif depuis 2005, le Protocole a été une avancée timide, la seule dans ce domaine. La première période d'engagement vient à expiration en 2012 et rien ne présage de son extension future. La «feuille de route» de Bali traduisait clairement la difficulté de parvenir à un accord fort à la Conférence de Copenhague qui a montré les limites de la gouvernance mondiale dans le domaine du climat. La problématique demeure donc entière à la veille de la prochaine conférence de Cancun en décembre 2010.
Y a t-il des mécanismes pour la modernisation des diverses industries à même de réduire leurs impacts néfastes ?
Dans le cas des pays industrialisés, cette modernisation est une nécessité d'autant que ces pays ont une obligation de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Depuis plusieurs années, le coût de telles actions fait l'objet de discussions et de négociations, notamment dans le cadre de que l'on nomme «le marché du carbone» incluant les permis d'émissions ou les mécanismes de développement propre. Finalement, c'est tout le concept de développement durable qui est mis à l'épreuve, c'est-à-dire trouver ce fameux équilibre entre les sphères économique, sociale et environnementale.
Au cas où les pollueurs persistent dans cette attitude, quelles en seraient les conséquences sur les pays pauvres qui subissent fortement le préjudice de l'industrialisation ?
Une chose est claire, il n'est pas possible de poursuivre dans la voie actuelle. Tout le monde reconnaît et admet que la trajectoire et le mode de développement actuel n'est pas soutenable. La principale ambiguïté est que toute avancée des pays émergents dans la voie du développement est vécue comme un problème alors qu'elle devrait être saluée ! On entend souvent que si la Chine devait attendre le niveau des pays européens, cela nécessiterait plusieurs planètes. C'est pourtant le droit le plus absolu pour la Chine ou tout autre pays du sud d'aspirer à atteindre ce niveau de développement. Comment donc négocier la part de chacun à « occuper» l'espace climatique en termes d'émissions? Il n'y a pas de réponse, il y a des enjeux qui deviennent de plus en plus forts. Il faut en avoir conscience, aussi bien au Nord qu'au Sud. Ni les priorités ni les moyens de riposte ne sont les mêmes pour tous.
Rejoignez-vous ceux qui prônent la création d'un tribunal international de justice climatique et environnemental et appellent à un référendum mondial sur le changement climatique, exigeant la réduction de 50% des émissions de co2 des pays développés ?
Cette attitude traduit la radicalisation de certains pays en développement qui estiment que le sud ne doit pas être sacrifié alors même qu'il est le moins responsable du problème. En termes d'équité, cette posture est tout a fait légitime. Jusqu'à présent, les pays industrialisés n'ont pas rempli leurs propres engagements et certains commencent à demander aux pays du sud de se mettre sur la voie d'une économie plus sobre en carbone ! Si les futurs accords ne sont pas sous-tendus par un réel transfert technologique et un appui financier à la hauteur des risques, notamment pour les pays les plus vulnérables, on risque de voir s'effriter l'esprit de solidarité qui a jusqu'à présent marqué les négociations internationales sur le climat. L'idée d'un traitement juridique de la question climatique n'est pas nouvelle. Je le redis, l'équité sera désormais au cœur du débat mondial sur le futur régime climatique.


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