De notre envoyé spécial à Copenhague A. Lemili Au premier jour de la rencontre des chefs d'Etat à Copenhague, rencontre qui se tient dans le cadre du sommet sur le climat, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a, sur deux plans, en préambule de son intervention, immédiatement balisé la nature du grand enjeu que constitue Copenhague 2009. D'abord, parce que la question de l'équilibre naturel de la planète se pose avec une grande acuité en ce sens qu'il engage l'avenir de l'humanité. Ensuite, parce qu'il ne saurait être question de louvoyer autour de l'attitude et des moyens à consacrer pour reprendre en main la situation, corriger la trajectoire et, plus particulièrement, réparer les grandes erreurs commises par l'homme. Autrement dit, c'est à l'homme qu'il appartient, dans l'immédiat, c'est-à-dire au sortir de ce sommet, de trouver des solutions au sentiment de désolation qui étreint l'ensemble des habitants de la planète. Dans la première phrase de son discours, le chef de l'Etat pose la question et en fournit la réponse : «L'homme perturbe le climat, il va devoir le maîtriser», pour mettre, à juste titre, face à leurs responsabilités ceux parmi les 192 chefs d'Etat et de gouvernement présents jeudi dernier au Bella Center, que «désormais, le temps nous est compté : le compte à rebours a commencé pour une Terre en sursis». Abdelaziz Bouteflika, à travers cette déclaration sentencieuse, s'inscrit, on ne peut mieux, avec une très grande sincérité dans les attentes des pays en voie de développement, de leurs populations et de ceux, parce que déjà vulnérables, qui payent cash d'ores et déjà les agressions multiples et multiformes de l'homme sur la nature, notamment à travers l'augmentation excessive et vraisemblablement inaltérable d'émissions de gaz à effet de serre. La société en général et ses dirigeants en particulier sont comptables devant l'histoire. Dans cet ordre d'idées, le président de la République interpelle ses pairs et forcément ceux à la tête des pays industrialisés sur la nécessité d'écrire la première page d'une nouvelle ère après Rio 92 et Kyoto 97. «Copenhague doit être une nouvelle étape pour répondre collectivement aux défis sans précédent posés à l'humanité par les changements climatiques.» Sa perception des deux évènements est, toutefois, à interpréter avec nuance en ce sens qu'il a recouru à l'hyperbole pour dénoncer de la manière la plus courtoise le respect, pour ne pas dire le non-respect, d'engagements historiques pris au cours des deux étapes par ceux qui avaient formulé des promesses, lesquelles, en fait, n'ont été que moyennement honorées par certains, ignorées ou rejetées par d'autres. «Historique, elle l'est, malheureusement aussi parce que jamais l'homme n'a autant menacé par son activité ses écosystèmes, ses ressources, et partant, sa propre survie.» Stigmatisant l'action dévastatrice et les agressions contre la nature les pays industrialisés, et confirmant l'idée maîtresse défendue tout au long du sommet par Cherif Rahmani, Abdelaziz Bouteflika ne fera pas, néanmoins, une idée fixe de la culpabilisation de ces derniers mais affirmera que «ces politiques, nous les devons à nous-mêmes, parce que les changements climatiques sont déjà là. Nous les devons aussi aux générations futures auxquelles nous avons le devoir de léguer une planète viable». Le chef de l'Etat confirmait de fait l'engagement inconditionnel et toutes natures confondues de l'Algérie aux mesures que pourrait prôner la déclaration finale de Copenhague 2009, pour peu que soit corrigée la trajectoire. La survie de la planète n'est plus une question de manichéisme et ne se pose pas seulement en termes d'affrontement entre pays pauvres et pays riches, d'exploiteurs et d'exploités, de puissants et de soumis mais plutôt de postulats scientifiques. «D'abord, que le phénomène des changements climatiques est d'origine humaine, ensuite, qu'il a été provoqué par les émissions de gaz à effet de serre depuis la Révolution industrielle et, enfin, que les pays en développement, qui ont le moins contribué aux changements climatiques, seront ceux qui en souffriront le plus… C'est pour ces raisons que la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques a défini sans équivoque les responsabilités des uns et des autres… » Les responsabilités des uns, c'est-à-dire les pays industriels qui «doivent honorer les engagements auxquels ils ont souscrit au titre la convention et du protocole en termes de transferts de technologie, de financements et de renforcement des capacités pour venir en aide aux pays les plus vulnérables et tous les pays en développement le sont et leur permettre de supporter le fardeau de l'adaptation aux changements climatiques. C'est une obligation légale, un devoir de solidarité et une exigence dictée par l'interdépendance, les changements climatiques ne connaissant pas les frontières». Là, effectivement, s'il ne culpabilise pas les pays industrialisés, Abdelaziz Bouteflika ne les place pas moins face à leurs consciences, voire leurs mauvaises consciences martelant dans la foulée : «Notre vision à long terme ne doit pas envisager un partage injuste de l'espace atmosphérique. Les objectifs mondiaux de réduction d'émissions pour 2050 et ceux envisagés pour les pays développés ne doivent pas laisser aux pays en développement une portion congrue de cet espace insuffisante pour permettre le développement économique et social auquel ils aspirent.» Quoique cette responsabilité des pays industrialisés est incontestable, il n'en empêche moins pour le chef de l'Etat que l'Afrique et les pays en voie de développement auraient tout intérêt à assumer les leurs, estimant ainsi qu'ils «doivent supporter leur part du fardeau de la lutte contre le réchauffement climatique en introduisant progressivement les énergies nouvelles et renouvelables dans leurs programmes de développement et en adoptant des mesures volontaires d'atténuation et d'adaptation conditionnées par des transferts adéquats aux plans financier et technologique». La situation climatique chaotique que vivent l'Afrique et d'autres parties du monde, les drames naturels quasi quotidiens qui agitent le continent, constituent, aux yeux du président de la République, un argumentaire hélas éloquent d'une réalité apocalyptique qui justifie et légitime l'agitation et la levée de bouclier des organisations internationales toutes actions confondues de protection et défense de l'homme. «En Afrique, comme dans certaines autres régions du monde en développement, le dérèglement climatique fait déjà partie du quotidien de millions d'êtres humains victimes des inondations, des sécheresses répétées et de l'avancée inexorable du désert, avec leurs retombées de plus en plus graves sur l'agriculture, la santé, et la sécurité alimentaire.» Pour Abdelaziz Bouteflika, l'Algérie a pris conscience de la situation opportunément et choisi de «faire face aux impacts des changements climatiques qui aggravent le phénomène de désertification dont elle souffre…», en intégrant la dimension «du développement durable dans ses plans de développement y compris dans un souci de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre». Si ce souci de réduction des émissions de gaz à effet de serre répond à un smic consensuel sous d'autres cieux, l'Algérie veut aller encore plus loin dans la protection de ses écosystèmes en ayant déjà «adopté des mesures visant à améliorer l'efficacité énergétique et une politique de promotion des énergies renouvelables. Elle a, enfin, fait de la technologie du captage et du stockage de dioxyde de carbone un élément clé de sa politique nationale en matière de changement climatique». Copenhague 2009 s'est ouvert de la manière la plus pessimiste possible, il l'est resté tout au long des trois semaines de travaux d'experts, de consultations d'équipes spécialisées des pays présents, des négociations de ministres. Le pessimisme était encore au plus fort en dehors du Bella Center assiégé par des centaines d'altermondialistes venus de toutes les régions du monde. Et si, figures emblématiques et îcones des associations d'écologistes, ne nourrissaient aucun espoir sur ce qui se passait au Bella Center n'en devenaient pas moins plus inquiets sur la pérennité du protocole de Kyoto. Or, le chef de l'Etat s'est, précisément, sur ce registre fait pratiquement leur champion sur cette vision des choses en conviant ses pairs à «placer la sauvegarde de notre planète au-dessus des égoïsmes nationaux et des intérêts étroits. Nous formons le vœu que la prise de conscience planétaire de Copenhague sur la gravité de ce défi soit l'occasion de nous mobiliser et faire de nos assises un succès au bénéfice de tous… ». Depuis son arrivée sur Terre, l'homme a évolué en étant le promoteur de son environnement immédiat, il en deviendra à mesure que s'écoulera le temps son prédateur en puissance quoique la nature ait, à chaque fois eu l'avantage de reprendre ses droits jusqu'aux premiers balbutiements de l'industrie. Dès lors, la lutte devenait de plus en plus inégale et face à l'hérésie humaine le rapport de forces allait malheureusement basculer en faveur de l'homme. Abdelaziz Bouteflika a entamé son intervention par des propos sentencieux, il le clôturera sur un note d'espoir : «La fonction essentielle de l'homme est, dit-on, de construire l'avenir : scrutons dès à présent non pas seulement l'échéance 2012, mais regardons bien au-delà. »