Pour donner un peu de tonus et de couleur à son existence apathique, le chroniqueur a décidé de se payer des lunettes fumées. Des lunettes à écran rose, comme les aurait si bien aimées Ronsard dont la Rose est un gracieux emblème. Sous cette subtile et évanescente nuance, les exactions du quotidien seraient, certainement, un peu plus acceptables. Car le poids des jours pèserait moins. D'ailleurs, de l'avis des aquarellistes, une peinture en noir et blanc serait malvenue pour prétendre reproduire tous les hymnes à la vie. D'autant que, pourraient surenchérir les psychanalystes, ce n'est pas ce qu'il y a de plus indiqué pour affronter tous les rochers de Sisyphe de l'existence. Surtout, en été et à l'approche du Ramadhan où, à la moindre anicroche, des choses de « basse considération » peuvent se compliquer à l'envie. Les zawalias en savent quelque chose, eux qui ne peuvent se permettre de se payer des lunettes roses afin de mettre un peu de couleurs dans leur morne existence. « Mais, ils auraient dû en acheter une paire... », s'est désolée la concierge de notre immeuble. « Et avec quoi, s'est interposée sa fillette, puisque même les lunettes de vue de leur fils, mon camarade de classe, ont été gracieusement offertes par l'école ? ». Bigre, voilà que le chroniqueur commence à gâcher ses prometteuses vues panoramiques ! D'ailleurs, en matière de gâchis, Van Gogh qui, dit-on, est un zawali des Pays -Bas, a vécu à ses dépens, cette propension à ne pas porter de lunettes à écran fumé. Et, surtout, à négliger le rose. C'est que, dans tous ses tableaux, le Vincent a, au risque d'être maudit, préféré l'été et le jaune délavé des blés (parfois, le bleu indigo), à la robe fluorescente qui vêt la rose des jardins, au printemps. Cela l'a conduit à la folie. Et lui a coûté la vie puisqu'il s'est suicidé lamentablement. Pour vivre calmement, Van Gogh aurait dû aimer le rose. Comme ses contemporains aquarellistes, qui, en aimant et maniant toutes les couleurs, ont continué de vivre normalement. Il leur est même arrivé de se marier, d'avoir beaucoup d'enfants et de vivre longtemps. Ici, le chroniqueur a observé une pause, enlevé ses lunettes et s'est interrogé : « Faut-il être un adepte de la méthode Coué pour donner et recevoir des ondes positives ? ». Certains conteurs épiques et autres scénaristes d'Hollywood ont déjà répondu à cette question en imaginant, trois fois sur quatre, des fins heureuses à leurs œuvres. Et voilà, qu'en tentant d'échapper aux schizophrénies ambiantes, le chroniqueur s'est empêtré les pieds dans les pantoufles de Confucius. Car, au lieu d'utiliser les larges perspectives de ses lunettes roses afin de tirer profit de l'instant présent, il s'est mis à jouer au philosophe. Encore, un métier maudit ! Assurément, il est indécrottable, le chroniqueur !