La tradition poétique et la chanson d'expression kabyles ont toujours ménagé une place aux thèmes religieux. Comment pourrait-il en être autrement dans une société où les enseignements de la religion, même adaptés aux spécificités et aux besoins de la paysannerie ont longtemps inspiré les attitudes et les comportements ? Des artistes consacrés, comme Akli Yahiatene, Djamila, Cherifa, Abchiche Bélaid ou Taleb Rabah dont le dernier album est consacré entièrement au chant religieux, ont invoqué le prophète, les saints protecteurs de la région. Hssisen a maudit le diable et exhorté le croyant à ne pas dévier du droit chemin. On a célébré les vertus de la religion musulmane sur tous les tons, loin de la posture compassée de l'inchad. Mokrane Agawa, à la voix ample et puissante, est, sans doute, le nom le plus connu du genre Adakar. Il est, pourtant, une sorte d'arbre qui cachait une forêt touffue. N'oublions pas que Cheikh Nourredine avait, durant les années 50 et 60, dirigé l'orchestre El Mahmoudia, dédié aux chants religieux. Même Slimane Azem dont l'essentiel du répertoire est plus centré sur les tourments de l'exil, la nostalgie du pays natal, a sacrifié à la tradition. « Wiyek Ayouliw utuv » (De grâce repent-toi mon cœur) révèle une âme qui, en fin de compte, ne voit que Dieu comme ultime recours. De nos jours, la veine poétique sur ce registre s'est quelque peu tarie mais les artistes comme Takfarinas ou Lounès Kheloui, Idir et même Matoub Lounès dans quelques compositions, ont redonné vie au genre. Tantôt en adaptant sa rythmique et ses mélodies, tantôt en puisant dans sa thématique. L'une des meilleures voix que compte de nos jours le chant kabyle est celle d'Azal Belkadi qui s'est produit dans de prestigieuses scènes à l'étranger. D'aucuns, le surnomment le « Pavarroti Kabyle » et dans son répertoire, il compte un magnifique chant intitulé « Allah, Allah Ayiwan » (Dieu l'unique). Alors que l'écume des médias place toujours en avant plan, des affaires liées à l'évangélisation ou au non respect du Ramadhan, la région de Kabylie connait à la fois un renouveau de la pratique mais également un intérêt grandissant pour un patrimoine longtemps négligé et occulté. Des hommes comme Mammeri ou Youcef Nacib, ont déjà exhumé et sauvé des trésors de cette poésie d'essence religieuse dont certaines pièces comme l'histoire rimée des prophètes sont des morceaux d'une haute perfection. Longtemps, des impératifs politiques mais aussi le désintérêt des élites de langue arabe ont mis sous le boisseau cette production qui a pourtant permis de sauver et de transmettre une partie essentielle de la culture kabyle. De nos jours, on semble enfin se tourner vers ce fondement de la personnalité. Des chercheurs comme, Ahmed Sahi, Mohand Arezki Ferrad ont déjà publié des recherches sur le sujet en arabe. Mohand Akli Salhi s'y intéresse, de même que Kamel Chachoua de l'université d'Aix-en- Provence qui a produit une thèse de qualité sur « l'islam kabyle ». NOUVEAUX MEDIAS, NOUVEAUX LANGAGES Cet intérêt s'appuie sur les nouveaux médias. Sur la radio chaine 2 ou les antennes régionales de Bejaia et de Tizi Ouzou, des émissions dédiées à la religion rencontrent un vif succès. Sur la première, officie l'imam Abou Abdesalam qui répond aux interrogations en direct ou par courrier. Sur Radio Soummam, Boualem Djouhri, auteur d'un recueil de poèmes anime un jeu singulier durant ce mois de Ramadhan. Les questions auxquelles doit répondre l'auditeur concerne uniquement la religion. On ressent chez ces nouveaux imams un souci d'être pratique, d'user d'un vocabulaire qui s'éloigne de la rhétorique traditionnelle et rébarbative. Un homme comme le docteur Bouizri n'hésite pas à se référer à des paroles d'Ait Menguellet, de Simane Azem ou des proverbes du terroir, pour illustrer ses propos. Enfin, La chaine TV 4 n'est pas en reste car elle fait intervenir de nombreux imams dans les différents parlers amazighs sur les questions liées à la religion, dogme et pratique. Ces dernières années, on découvre de plus en plus de CD qui évoquent les grandes personnalités de l'islam ou le dogme. Hocine Tarha, Aouissat et Bourbia se sont spécialisés dans ce créneau. Dans les bacs des disquaires, on peut découvrir aux rayons nouveautés des CD dont le plus récent est celui des Khwans d'Ait Yahia ou on devine un souci de modernisation avec l'usage du nay et de la flûte. Les paroles sont une ode à des pieuses personnes comme Cheikh Mohand ou une évocation de l'ingratitude des temps où seul l'attachement à ses devoirs permettra de sauver le croyant. Ce groupe n'est pas le seul et n'en est pas à sa première production. Incontestablement, le retour vers le religieux est un fait visible. Des sociologues devraient se pencher sur ses raisons et ses manifestations. A quels besoins répond-t-il ? Quelles évolutions sous tend-il ? Hélas, les chercheurs sont encore moins nombreux et volubiles que les imams.