Si on observe, en effet, les différentes étapes à travers lesquelles un certain traitement a été réservé à ces marchés et à leurs animateurs, on se rend bien compte que la volonté d'en finir avec cette anarchie n'a pas manqué, ni d'ailleurs n'ont manqué les moyens à mobiliser pour ce faire. Ce qui a manqué, en revanche, ce sont les conditions sociales et économiques qui donnent au politique le courage d'agir efficacement en toute légitimité. Par ce dernier vocable, il faut entendre tous les paramètres et les préalables à satisfaire, au sein d'une économie et d'une société en transition, afin d'aller vers des actions d'application stricte des lois de la République. Qu'est-ce qui caractérise donc cette étape pour la particulariser de celles qui l'on précédées et suites auxquelles nous avons vu un reflux successif des vagues de l'informel et des marchés anarchiques ? Les replis successifs des pouvoirs publics étaient-il des échecs de portée stratégique ou des replis tactiques motivés par des situations et des conditions particulièrement contraignantes ? Qu'est-ce qui serait, encore une fois, propice à un retour de ces marchés si l'on exclut un recul des pouvoirs publics ? Ce sont là autant de questions qui méritent d'être examinées à la lumière des changements qui se sont produits durant cette année, mais aussi à la lumière de ce qui n'a pas changé qu'il s'agisse de points noirs ou au contraire de points positifs qui sustentent la démarche publique dans l'instauration d'un environnement commercial et fiscal assaini et complètement réhabilité. L'INFORMEL, LE MAL NECESSAIRE ? Il y a un proverbe maghrébin qui dit : « Quand tu répudies ton épouse, tu n'as pas besoin de lui montrer la maison de sa famille ». Ainsi en a-t-il été de la plupart des économies dans le monde qui ont dû subir une transition déstructurante-restructurante. En guise de répudiation, les Etats concernés, selon leur niveau d'emprise politique et de santé financière, ont dû assumer certaines charges, se libérer d'autres, prioriser des urgences aux dépens d'autres, laissant parfois proliférer, sur les trottoirs et les places de marché, des activités informelles dont les personnels sont des jeunes sans débouchés viabilisants qui finissent par marquer leurs territoires et par trouver leur compte dans un commerce en marge de la légalité qui n'était au départ qu'un pis-aller. Des jeunes qui justifient leur présence sur les trottoirs par l'absence de perspectives. En l'absence d'une alternative publique à la crise, l'informel prend le relais et trouve dans cette absence le chemin vers sa légitimation. Traduction situationnelle du proverbe évoqué ci-haut : « Si tu ne me prends pas en charge, n'essaye pas de me montrer le chemin de la légalité ». Pis-aller, recours ultime, retranchement désespéré... Quels que soient les vocales qui peuvent qualifier cette situation, les marchés anarchiques sont parfois, en attendant que de vraies solutions soient imaginées par les gouvernants, de véritables amortisseurs sociaux, qui tendent à absorber un taux de chômage non négligeable et à favoriser un semblant d'accessiblité des produits (le piège est ailleurs et de long terme) aux populations. Les dégâts de l'informel se répartissent entre retombées directement visibles et sensibles et retombées indirectement invisibles et sensibles qui deviennent, avec le temps, les symptômes d'un sous-développement économique. C'est pour cette raison que l'informel, quel que soit son rôle situationnel circonstancié, demeure un fléau qu'il faut éradiquer. LE MAL DES ECONOMIES EN DEVENIR Si l'on s'efforce d'énumérer les conséquences et les effets néfastes occasionnés par les marchés anarchiques, on en trouverait bien plus d'une dizaine qui plaident, de manière irréfragable, pour un déracinement. Les marchés de l'informel sont en effet, et comme l'indique bien leur nom, des espaces d'écoulement de marchandises en majorité clandestines. Des produits n'ayant pas connu les étapes de contrôle de rigueur qui veillent en amont à ce que le citoyen ne soit pas affecté par la dangerosité ou l'absence de qualité des produits qui hantent les étals de ces commerces à la sauvette et qui sont, pour la plupart, d'origine étrangère et tout particulièrement de pays où se pratique systématiquement une industrie de contrefaçon. Ce sont aussi des espaces qui échappent à toute traçabilité en matières aussi bien commerciale que fiscale, et qui ruinent, au passage, tous les commerces qui travaillent dans la transparence et la légalité et qui finissent, à leurs corps défendant, par se réfugier dans des pratiques semblables pour surnager. Ce sont, par ailleurs, des espaces qui, du fait de ne pas être circonscrits ou limités, s'étendent aussi loin que peut s'étendre un marché ou une rue, n'épargnant ni les trottoirs, ni les côtés des routes, ni les devantures des magasins, leur évolution n'obéissant à aucun itinéraire préétabli, sinon celui de la population piétonne qui finit, elle-même, par ne plus savoir où mettre les pieds. Dans un registre plus crucial, les marchés anarchiques s'avèrent être les ennemis de l'économie locale, car ils deviennent, par la force des choses, les complices de l'import-import qui trouve en eux une ressource providentielle pour anéantir toute concurrence locale et pour réaliser des gains faciles immenses. Enfin, marchés anarchiques et en marge du visible, les lieux de l'informel sont également des espaces propices à des trafics en tous genres, à une violence criminelle et à tant d'autres pratiques dignes du pénal. POURQUOI ENVISAGER L'ANENANTISSEMENT DE L'INFORMEL AUJOURD'HUI MIEUX QU'AVANT ? Politique oblige, la contrainte de concilier impératifs économiques et urgences sociales a souvent dicté ses décisions et ses choix. Mais aujourd'hui, alors que les efforts financiers et de politique de développement et de renflouement social ont atteint des niveaux inégalés, irriguant de très larges pans des populations, l'informel n'est plus une bouée de sauvetage des laissés-pour-compte, mais un boulet qui risque de couler l'économie du pays sans sauver personne. L'élargissement de la classe moyenne à la faveur des augmentations considérables des salaires et la sortie de la pauvreté de millions de personnes ont induit une perception plus optimiste et une écoute de la part des populations quant à la politique des pouvoirs publics. Aujourd'hui, la majorité des citoyens qui aspirent à un mieux-vivre, comprennent et admettent la nécessité de mettre fin aux marchés anarchiques. Après les soucis de survie qui focalisaient leur sens des priorités, les Algériens se découvrent des aspirations de citoyens et entendent soutenir les pouvoirs publics dans leurs démarches pour les concrétiser, entre autres l'anéantissement des marchés anarchiques qui s'avèrent être une véritable exacroissance, une gangrène qui pourrit la vie dans la cité et leur quotidien. Il n'est pas jusqu'aux propriétaires des maisons et autres appartements dans certains quartiers de la périphérie d'Alger qui n'arrivaient plus à rentrer chez eux ou à garer leurs voitures, tant les structures des étals des vendeurs à la sauvette avaient émaillé, avec une laideur inouïe, leur entourage immédiat. UNE JEUNESSE DETOURNEE Le commerce anarchique et informel, hier un recours ultime, est devenu une voie de facilité pour des jeunes qui placent dans cet espace des espoirs d'enrichissement rapide et pour cause. Les bénéfices qui se réalisent dans ce « secteur » sont extraodinairement élevés en l'absence d'obligations fiscales, en l'absence d'un investissement de départ sur un local et en l'absence de toute obligation vis-à-vis de la sécurité sociale, etc. Des secteurs, aujourd'hui porteurs en matière de création de postes d'emploi, notamment le bâtiment, l'agriculture et de plus en plus le tourisme, sont boudés au profit de petites tables clandestines qui exercent, mine de rien, une concurrence déloyale sur les vrais commerçants obligés de se replier ou de se redéployer selon la logique braconnière qui prévaut dans les rues de nos cités. UNE BRECHE, POURTANT, SUBSISTE Outre celle de déployer des agents de l'ordre qui empêchent les étals de revenir dans les rues, deux solutions peuvent définitivement structurer des conditions propices à un affaiblissement irréversible de l'informel. Il s'agit d'abord de la capacité des marchés licites à absorber la demande quotidienne et de ne pas considérer l'importance de celle-ci comme une occasion de surenchère et de monopole sordides. Une attitude qui pousse les citoyens dans les bras de l'informel où ils trouvent accessibilité et, paradoxalement aussi, de la considération. Il s'agit ensuite de recadrer les activités informelles dans des espaces qui les structurent désormais en commerces licites en attendant de s'attaquer non seulement aux marchés anarchiques, mais également aux réseaux qui y commercialisent des produits qui échappent souvent à tout contrôle.