Le constat est sévèrement établi par le président de l'assemblée nationale, Mohamed Megaryef, visiblement débordé par l'état d'anarchie qui empêche le déroulement normal et régulier des activités de la seule institution légitime en place. Une situation anarchique qui profite amplement aux milices et aux « conseils militaires régionaux » qui continuent d'imposer la loi des armes et de se livrer, en seigneurs de la guerre, aux luttes d'influence dont la dernière édition sanglante de Béni Walid reste la démonstration la plus éclatante. L'ère milicienne qui se légitime par l'alibi de la purge kadhafienne est en danger. Il est véhiculé par les progrès du processus démocratique qui, à terme, doit mener à la restauration d'un Etat national fort de la légitimité des urnes et du choix populaire. C'est pourquoi, il n'est pas exagéré de dire que les manifestations de rue à répétition s'inscrivent dans une logique d'obstruction pour tenter de mettre en échec l'avènement de la nouvelle Libye des institutions. A ce titre, le siège de l'assemblée nationale, investi par des manifestants remontés au moment même où les députés devaient se prononcer sur le nouveau gouvernement du Premier ministre, Ali Zeidan, ne peut être fortuit. Il est de tradition que les locaux du CGN (Congrès général national) soient occupés, à plusieurs reprises, par des manifestants, parfois armés, pour protester contre les décisions du CGN ou du gouvernement. Mais il est clair aussi que le report sine die, pour des raisons évidentes de sécurité jamais éludées, bloque la formation d'un gouvernement qui a fait de la construction de l'armée et de la police « la priorité des priorités ». Dans la présentation de son programme devant le CGN, le nouveau Premier ministre, Ali Zeidan, élu le 14 octobre en remplacement de Abdelkrim El-Kib, a exprimé sa volonté de se consacrer pendant la durée de son mandat à l'ancrage du processus démocratique, à commencer par l'élaboration de la constitution dont la rédaction se fait toujours attendre et la tenue des élections générales. La tentative de sabordage prête, également, à équivoque dès lors où la raison de la perturbation des travaux de l'assemblée nationale (la nomination des ministres issus de l'ancien régime) perd tout son sens. Selon le règlement interne, le CGN pourrait rejeter le gouvernement en bloc ou pousser le Premier ministre à le remanier si la majorité des 200 membres émet des réserves sur un ou plusieurs ministres. Plusieurs députés ont, d'ailleurs, légalement contesté les ministres des Affaires étrangères, des Affaires religieuses et du Pétrole. Le remodelage du paysage politique fait-il donc peur ? C'est que le gouvernement de Zeidan, d'une trentaine de ministres libéraux, islamistes et indépendants, forge le consensus et entend garantir une représentativité équilibrée de toutes les composantes de la nouvelle Libye en formation. La nouveauté réside assurément dans l'attribution des ministères de souveraineté (Affaires étrangères, Coopération internationale, Finances, Justice, Intérieur et Défense) à des personnalités indépendantes jugées mieux qualifiées et disposant d'une longue expérience. Ainsi, deux anciens officiers de Benghazi ont été désignés à l'Intérieur et à la Défense. Serait-ce la goutte qui a fait déborder le vase des vieilles rivalités régionales ?