La vie de couple est sans doute mystérieuse et énigmatique tant la relation entre les êtres peut aller dans le sens de la durée, comme elle peut vaciller et se transformer en séparation inéluctable. Les premières victimes de la déchirure sont évidemment les enfants. C'est de celle-ci que l'auteur parle dans son roman « Madame l'Afrique », une appellation typiquement algéroise quand il s'agit d'évoquer la cathédrale Notre Dame d'Afrique située sur les hauteurs de Bologhine. Mais pas seulement, car comme on l'apprendra dans l'histoire de ce roman, l'auteur met en scène un belle blonde au sobriquet fort évocateur : « l'Africaine » qui, justement, « adore l'Angleterre » et se « passionne pour l'Afrique ». Le narrateur qui n'est autre que l'un des trois enfants du couple est un jeune médecin métis de Paris. Stéphane, puisque c'est de lui qu'il s'agit, franchit la « palissade » maintes fois soulignée dans le texte pour raconter à un photographe suisse les « fresques » et « turpitudes » de son géniteur camerounais qui a « disparu sans laisser de traces ». Alors s'offrent à lui les derniers instants tumultueux des parents qu'il passe au crible comme pour mieux saisir les nuances et les non-dits de la séparation. Il évoque les vacances à Lectoure, le passage chez les grands-parents maternels qui n'apprécient guère le papa écrivain ; peint la vie de sa sœur et de son frère et dresse le portrait type d'un pied noir, le mufti Abdoul. Toutefois, « l'Africaine », cette belle blonde maîtresse du père demeure le point culminant de discorde entre papa et maman tant que celle-là retient l'attention du père épris d'elle. Même si l'auteur ne donne pas l'impression de vouloir critiquer les unions mixtes, il n'en demeure pas moins qu'il rapporte des détails qui en disent long sur le grand écart qui sépare des êtres issus de continents différents. Ici, l'Afrique est vue sous le prisme d'une « procession de problèmes à régler » en soulignant le caractère de « complexe de supériorité » absolu. Le personnage d'Abdoul ne sert qu'à réactualiser la nostalgie des pieds-noirs qui consiste à retourner en Algérie. On sent chez l'auteur ce va-et-vient incessant entre le Cameroun, son pays natal, l'Algérie qu'il porte incontestablement dans son cœur et la France où se déroule cette histoire de séparation dans le but avoué est de cultiver les racines africaines. « Ce roman est comme un arbre aux racines africaines. Il faut cultiver et nourrir ses racines », souligne-t-il. La parfaite maîtrise de la narration rend intelligible la lecture du roman. Diplômé de sciences-Po, Eugène Ebodé est né en 1962 à Douala au Cameroun. Après avoir été chroniqueur sur France Inter dans l'émission Cosmopolitaine, il collabore actuellement au « Courrier de Genève ». Auteur de plusieurs romans, Eugène Ebodé a reçu le prix Eve Delacroix de l'académie française pour « Silikani », le dernier volet d'une trilogie publiée aux éditions Gallimard, et le prix Yambo Ouologuem au cours de la 3e édition de la rentrée littéraire du Mali. Rabah Douik « Madame l'Afrique » d'Eugène Ebodé, 198 pages, 600 da, Editions Apic