• Souvent, en Algérie, des beaux outils sont installées alors que la maintenance n'est pas vraiment à la hauteur. L'idée était de transférer le savoir-faire nécessaire aux équipes locales. Dans cet entretien, le directeur général de la Société des eaux et de l'assainissement d'Alger (SEAAL) M. Jean-Marc Jahn, fait le bilan de quatre années d'activité, rassure quant à l'avenir de la SEAAL et explique au passage le fonctionnement du système d'alimentation d'eau potable dans la capitale. On dit qu'alimenter la capitale en eau potable est très complexe. Pourquoi ? Le système d'alimentation d'eau d'Alger est, en effet, un des plus compliqués au monde. La ville est étendue. Elle comporte plus de 4000 km de réseau. Il y a énormément d'installation de production et de distribution différentes parce que la topographie de cette ville est très tourmentée. A Alger, il y a plus de 100 étages de distributions différentes. C'est ce qui rend l'alimentation de la capitale très complexe que ce soit sur le plan technique et même hydraulique si on s'en réfère aux normes internationales. Il faut savoir aussi que l'Etat a eu une stratégie depuis plusieurs années de diversification et de sécurisation des ressources. A Alger, il y a trois ressources différentes : la ressource historique qui est la nappe souterraine de la Mitidja qui assure aujourd'hui près de 25% des besoins d'Alger, les grands barrages, surtout ceux situés à l'Est, principalement, de Boumerdès, de Tizi-Ouzou et de Tipaza, qui assurent un peu plus de 50%. La différence à savoir 20% des besoins est assurée par le dessalement de l'eau de mer principalement de l'usine de dessalement d'El Hama. Le système d'alimentation est fiabilisé et assuré mais, du coup, il est compliqué. Pour ne citer que celle-ci, la nappe de la Mitidja a, pour elle seule, plus de 250 forages répartis de l'Est à l'Ouest de la capitale. Comment la SEAAL procède-t-elle pour tout superviser? Dans le plan d'action de SEAAL, un système de télé contrôle a été mis en place. C'est un outil indispensable pour assurer au mieux la distribution de l'eau potable en H24. Il fallait jongler, en quelque sorte, avec les différentes ressources, voir le niveau de l'eau, comment sont remplies les réservoirs, ouvrir, fermer et ajuster. Avec le H24, nous devons optimiser l'utilisation des ressources et garantir que l'eau doit être disponible dans plus des 150 réservoirs de la capitale à tout moment. Ce système, en fait, assure une centralisation de l'information de telle manière à avoir une vision globale. Auparavant, nous avions des opérateurs dans les stations de pompage et des surveillants au niveau des réservoirs. A l'époque, tout se passait par téléphone. Quand il y avait un problème quelque part, pour l'identifier et le régler, il fallait faire toute une gymnastique. Le temps de réaction était lent et, du coup, la population se trouvait privée d'eau. Aujourd'hui, l'intérêt de l'informatisation et du centre de télé contrôle est d'avoir en instantané la vraie vision de ce qui se passe en matière d'alimentation d'eau au niveau de la wilaya d'Alger. Ce centre a une particularité qui s'inscrit complètement dans la stratégie du contrat de la SEAAL. Je rappelle que la SEAAL est une société publique de droit algérien avec des actionnaires publics qui sont l'ADE et l'ONA. Ces derniers ont conclu un contrat avec Suez Environnement lequel était chargé de moderniser l'entreprise à travers les hommes et puis la technologie, et ce, dans le cadre du projet de transfert du savoir-faire. Nous avons voulu, dès le départ, que le projet de télé contrôle soit le projet de la SEAAL. Il ne s'agissait pas pour nous d'installer une boîte noire ou d'acheter un outil de surveillance mais de faire participer les équipes locales au montage du projet et au déploiement de l'outil de télé contrôle pour assurer au mieux la maitrise de l'exploitation de tous les capteurs. Dans un troisième temps, il fallait renforcer ce dispositif de telle manière à compléter les capteurs à travers la wilaya d'Alger, de multiplier les points de mesure et d'affiner des outils extrêmement performants, comme la carte de pression. Nous en sommes, maintenant, à la phase ultime qui est la maintenance. Vous savez que cela constitue un grand problème. Souvent, en Algérie, des beaux outils sont installées alors que la maintenance n'est pas vraiment à la hauteur. L'idée était de transférer le savoir-faire nécessaire aux équipes locales pour que dans le long terme cet investissement puisse être rentabilisé, entretenu et maintenu. La télé contrôle touche aussi bien l'eau que l'assainissement. Il faut savoir que le système d'assainissement n'est pas terminé. Il reste encore des stations d'épuration en cours de réalisation mais à l'horizon 2012, on aura un système d'assainissements équivalent à celui de l'eau. En outre, ces équipes ont mis au point de nouveaux outils qui n'existaient pas ailleurs dans le monde. Cela prouve que le savoir-faire est passé à une étape supérieure. En 2010, l'équipe a mis au point ce que nous appelons la carte des pressions. Cet outil n'existe nulle part ailleurs. Celle-ci nous permet de suivre en continue l'état de la distribution de l'eau sur tout Alger. L'équipe locale a, d'ailleurs, été primée d'un trophée d'innovation international. Même si une nette amélioration est constatée en matière d'alimentation en eau potable, des coupures d'eau surviennent de temps à autre… Les pannes d'électricité et les casses des réseaux sont malheureusement assez fréquentes, ce qui fait que les perturbations de la distribution de l'eau sont toujours existantes. C'est une des raisons d'ailleurs qui a motivé l'installation du centre de télé contrôle. Cet outil nous permet d'anticiper les problèmes et compenser avant que l'impact soit ressenti par la population. Cela ne veut pas dire que nous arrivons toujours à le faire. Si nous avons une énorme canalisation qui casse, nous serons obligés de l'arrêter et pendent la réparation la distribution d'eau sera perturbée. Avec cet outil, on ne diminue pas certes les causes des problèmes mais leurs impacts. Notre chalenge c'est de sécuriser le système pour que l'usagé n'en subit pas les conséquences. La SEEAL a un contrat de cinq ans. Quatre sont déjà écoulés. Quel bilan faites-vous ? La gestion déléguée est une opération pilote en Algérie. C'est le premier exemple d'un mode de fonctionnement très innovant pour l'Algérie et même à travers le monde. Alger était confrontée à un problème de l'eau. L'Etat a décidé de mettre le paquet pour régler ce problème. Il a procédé par la réforme de la gouvernance de l'eau en allant chercher des compétences extérieures. Le partenariat avec Suez environnement avait pour objectif d'injecter une expertise internationale à Alger. Il était également question de mobiliser les moyens financiers parce que les deux systèmes d'eau et d'assainissent nécessitaient une remise à niveau. Les deux choses ont été faites. Il faut dire que c'est assez exemplaire puisqu'il s'agit d'une opération pilote. L'Etat nous a accordé cinq ans et demi. Nous avons donc mis un plan d'action extrêmement précis. Cela étant, nous pouvons dire que quatre ans après le démarrage du contrat, nous sommes pratiquement dans la feuille de route sur l'ensemble des grands objectifs techniques qui sont, brièvement, la qualité d'eau, l'alimentation en H24, la remise en service du système d'assainissement, la modernisation de la relation avec la clientèle et les infrastructures. Je suis très reconnaissant aux autorités d'avoir mobilisé et tenu les engagements. En tant que DG de la SEEAL, je pense que nous avons honoré nos engagements. Cela nous a demandé un travail considérable. Il y a deux mois, nous avons enregistré le pourcentage de 94% en ligne et en avance de notre programme. Cela étant, le projet tient la route. Je vous ai dit qu'il y a un deuxième volet. C'est celui du transfert du savoir-faire qui est également extrêmement important. Dire régler les problèmes de l'eau à Alger en 5 ans et demi c'est du jamais vu à travers le monde. Pourquoi cela a marché c'est parce que l'Etat a mis les moyens et les partenaires ont respecté leur engagement. A la fin de 2011, la SEAAL sera un petit peu au-dessus du niveau moyen international des grands services des eaux et nous arriverons à le faire. Il reste, donc, une année pour l'expiration de votre contrat. Quel est le sort de la SEAAL ? Dans le contrat de la SEAAL, il est prévu, depuis le départ, une évaluation faite par les autorités et cela va se faire à partir de cette année. C'est tout à fait normal. Le ministre s'est exprimé très clairement en disant qu'au terme de ce contrat, il décidera s'il continue avec ce genre d'expérience. La SEAAL attend impatiemment cette évaluation et nous sommes très sereins par rapport aux résultats que nous avons réalisés. Nous ne sommes certes pas parfaits partout mais très bons dans beaucoup de domaines. Je pense qu'aujourd'hui le bilan est très positif comme je pense également que cette expérience est très bonne. Il faut savoir que la SEAAL, de toute façon, ne s'arrête pas en 2011. Elle est conçue pour 99 ans donc, elle est durable. C'est le partenariat avec Suez Environnement qui sera en fait évalué. Il y a trois autres expériences en Algérie dans la gestion déléguée de l'eau. Il paraît qu'elles sont moins bonnes ? Qu'en pensez-vous ? De mon point de vue, la SEAAL est le pilote de cette expérience. Elle a quatre ans d'exercice contrairement aux autres. Par rapport à nous, les trois autres ne sont pas en retard pour la simple raison qu'elles ont commencé plus tard que la SEAAL. Moderniser et mettre à niveau un système d'assainissement est très complexe et demande du temps. Je pense que des expériences de ce type méritent d'être jugées dans la durée du contrat qui a été fixé. Si vous revenez en arrière, vous trouveriez des articles assez critiques sur ce que faisait la SEAAL au bout d'une année de son exercice. A l'époque, je disais de grâce laissez-nous travailler. Ne croyez-pas qu'en un an vous allez révolutionner le monde, déjà en 5 ans c'est extraordinaire. Ceci dit, il faudrait donner la chance à ces expériences de se développer.