Yennayer s'est taillé, une place prépondérante au sein de la société algérienne moderne pour s'imposer comme élément identitaire et fédérateur incontournable sans bénéficier d'une reconnaissance officielle. Une contradiction qui est sans doute appelée à être rectifiée. Yennayer traduit et rappelle des faits et gestes ancestraux à travers lesquels s'est forgée et a pris corps la nation algérienne dont la principale caractéristique demeure de hauts faits d'armes. Pour l'histoire et la naissance du calcul de cette année dite agricole, l'an zéro du calendrier berbère remonte à des événements marquants qui datent de l'époque de l'Egypte ancienne. SheShonq 1er, prince de la tribu berbère des Mechaouech, qui a conquis le pays des Pharaons, est monté sur le trône pour y régner pendant 21 ans, de -945 à -924. Il est le fondateur de la 22e dynastie égyptienne. Il réunifia l'Egypte en l'an 950 avant J.-C puis envahit la Palestine pour s'emparer à Jérusalem, de l'or et des trésors du temple de Salomon. Yennayer prend cependant toute sa dimension dans la relation qui l'unit au travail de la terre, le cycle des saisons qui sont célébrées par des rites et coutumes qui témoignent d'une communion étroite entre les éléments naturels, le monde des morts et des vivants, que l'on qualifierait aujourd'hui de fusionnelle. D'ailleurs, le calendrier berbère correspond bel et bien au mouvement des saisons dans le monde agricole. Comme l'expliquera d'ailleurs le chercheur et linguiste Abdenour Abdeslam « les Imazighen avaient donc leur propre calendrier bien ancien, basé à la fois sur les changements de saisons et les différents cycles de la végétation qui déterminent les moments cruciaux à l'agriculture, et sur les positionnements des astres comme la lune et le soleil. À l'arrivée des Romains, un autre calendrier (le calendrier Julien), allait se substituer au calendrier autochtone, qui ne répondait plus aux nouvelles saisons nées des innovations agricoles. Le 12 janvier du calendrier Julien (institué en 45 av. J.-C. par l'Empereur Jules César) correspond donc au 1er janvier du calendrier grégorien actuel (instauré par le pape Grégoire XIII en 1582) » Pour lui, Yennayer est d'abord « une porte qui s'ouvre sur le nouvel an et appelée « tabburt useggwass » (la porte de l'année) ». Sa célébration s'explique par l'importance accordée aux rites et aux superstitions de l'époque dont certaines subsistent encore de nos jours. Une manière quelque peu de conjurer les mauvais esprits et faire en sorte que l'année qui vient apporte son lot de richesses et de bonheur dans les foyers. « La période en question attire particulièrement l'attention car la saison correspond à l'approche de la rupture des provisions gardées pour l'hiver. Il convient donc de renouveler ses forces spirituelles en faisant appel aux rites. À cette époque de l'année, le rite doit symboliser la richesse. Ainsi, pour que la nouvelle année entamée soit plus fructueuse et la terre plus fertile, il convient de se purifier et de nettoyer les lieux » précisera encore Abdenour Abdeslam. On le fait par des incantations, des chants et des offrandes en respectant les lois rituelles « tel que le sacrifice d'un animal (Asfel) sur le seuil de l'année, comme on le fait encore de nos jours sur les fondations d'une nouvelle bâtisse ». Le rituel asfel généralement par la mise à mort d'un poulet symbolise l'expulsion des forces et des esprits maléfiques pour faire place aux esprits bénéfiques qui vont nous soutenir l'année durant comme l'étayera le linguiste « si les moyens le permettent, seront sacrifiés autant de bêtes qu'il y a de membres de famille. La tradition a retenu le sacrifice d'un coq par homme, une poule par femme et les deux ensembles pour les femmes enceintes afin de ne pas oublier le futur bébé. A défaut de viande, chaque membre de famille sera représenté par un œuf surmontant une couronne de pâtes généralement du couscous lors du repas du soir ». Le dîner ce jour-là sera servi tard et se doit d'être copieux. « Copieux, ce qui aux yeux des Imazighens augurera une année abondante » indiquera encore M. Abdeslam. La viande de l'animal sacrifié y sera servie conformément au rite. Certains ne pouvant se permettre un tel sacrifice, servent de la viande sèche salée (acedluh), gardée pour de pareilles occasions. Abdenour Abdeslam nous décrit même le rite du dîner qui doit obéir lui aussi à des règles bien établies. « Lors du dîner, une cérémonie est prononcée afin de préserver les absents et de faire que l'année soit bonne. Les absents ne seront pas les oubliés du repas : des cuillers disposées par la mère symbolisent leur présence et une proportion symbolique leur sera laissée dans le plat collectif, censé rassembler toutes les forces de la famille. Après le repas, il convient de vérifier si tout le monde a mangé à sa faim. C'est la maîtresse des lieux internes (la grand-mère ou la mère) qui pose la question aux enfants pour savoir s'ils ont mangé à leur faim : la réponse est necca nerwa (oui nous avons mangé et sommes rassasiés). La maîtresse des lieux n'oublie pas non plus les proches ou les voisins, lesquelles lui rendent également des aliments différents : il n'est pas de coutume de laisser balader des ustensiles vides le jour de laawachar (jour béni). La fête garde de sa saveur pendant les quelques jours qui suivent l'événement. Les nouveaux ustensiles rangés après la dernière célébration vont redescendre de tareffit (étagère), on prépare lesfenj (des beignets), tighrifin (crêpes), et touts autres plats et gâteaux rappelant une saveur rare fut-elle importée. Seront également au rendez-vous les fruits secs amassés ou achetés le reste de l'année, figues sèches, amandes, noisettes, dattes, etc ». Outre le dîner qui doit être copieux, Yennayer c'est aussi la fête, le carnaval où « les enfants se masquent à l'aide d'une courge évidée, percée de trous pour les yeux et la bouche ; on colle des fèves qui seront des dents et des poils de chèvre pour la barbe et les moustaches. Ils vont par petits groupes à travers les ruelles et font des collectes ».