Figure de l'opposition de gauche, le coordinateur général du Parti des patriotes démocrates (PPD, légalisé en mars 2011), Chokri Belaïd, 48 ans, dont le mouvement fait partie d'une coalition, le Front populaire, a été assassiné par balles, hier matin, au sortir de son domicile. Il s'agit du premier attentat visant des hommes politiques depuis la chute de l'ancien régime. Le Premier ministre tunisien, Hamadi Jebali, issu du parti islamiste Ennahda, a vigoureusement dénoncé un « acte de terrorisme » en promettant de « tout faire pour que l'auteur soit arrêté rapidement ». « Le peuple tunisien n'est pas habitué à ce genre de choses, c'est un tournant grave (...). Notre devoir à tous, en tant que gouvernement, en tant que peuple, c'est de faire preuve de sagesse et de ne pas tomber dans le piège du criminel qui vise à plonger le pays dans le désordre », a-t-il mis en garde, précisant que l'opposant a été tué de trois balles tirées à bout portant par un homme portant un burnous. Le ministre de l'Intérieur, Ali Larayedh, a indiqué, en citant le chauffeur de la victime, qu'un complice l'attendait pour prendre la fuite à moto. En déplacement en France, le président Moncef Marzouki a écourté sa visite au Parlement européen pour rejoindre Tunis. Il a dénoncé un meurtre « odieux ». « C'est une menace, c'est une lettre envoyée, mais qui ne sera pas reçue », a-t-il souligné, jurant de « démasquer les ennemis de la révolution ». Le chef de l'Etat a, également, décidé de ne pas prendre part au sommet de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), prévu aujourd'hui, au Caire, pour rejoindre en urgence Tunis. Plus d'un millier de personnes se sont rassemblées devant le ministère de l'Intérieur pour crier leur colère. « Honte, honte à vous, Chokri est mort ! », « Où est le gouvernement ? », « Le gouvernement doit partir ! », scandaient-ils. Le frère de la victime a accusé Ennahda d'être responsable du meurtre. D'autres manifestants ont incendié les locaux du mouvement islamiste à Mezzouna et ont saccagé ceux du parti à Gafsa. A Sidi Bouzid, Kasserine, Béja, Bizerte et Tunis, des foules manifestaient leur colère dans les rues pour dénoncer le parti qui dirige le gouvernement, et dont le chef spirituel n'est pas resté sans réaction. Rached Ghannouchi a fait savoir que les tueurs voulaient « un bain de sang » en Tunisie, rejetant les accusations lancées contre sa formation, les qualifiant « de règlement de compte politique ». « Les bénéficiaires (du crime) sont les ennemis de la révolution, les ennemis de la stabilité, les ennemis d'Ennahda, et les ennemis du gouvernement », a-t-il martelé. Ce drame intervient alors que la Tunisie est confrontée à une crise politique aiguë. La troïka au pouvoir risque d'éclater à tout moment, faute de compromis sur le remaniement ministériel. Tandis que l'opposition appelle à la nomination de personnalités indépendantes aux ministères de souveraineté, le Congrès de la République (CPR) de Marzouki et Ettkatol, dirigé par le président du Parlement, Mustapha Ben Djaâfar, menacent de claquer la porte si leurs alliés d'Ennahda refusent de céder certains ministères régaliens. Le parti de Ghannouchi a fait savoir qu'il refusait de limoger les ministres contestés.