Chokri Belaïd, un des chefs de l'opposition tunisienne, a été lâchement assassiné, hier, par balles à Tunis. Un assassinat qui a provoqué une grande émotion et suscité la colère parmi la population. Les proches de la victime ont aussitôt accusé le parti islamiste Ennahda d'être responsable de cet acte odieux. La Tunisie traverse une phase de transition particulièrement difficile où les tensions sont exacerbées. Les violences politiques et sociales secouent le pays depuis la révolte qui a emporté l'ancien dictateur Ben Ali. Chokri Belaïd, 48 ans, un des pourfendeurs les plus acerbes du gouvernement actuel, a été tué devant chez lui de trois balles tirées à bout portant. Secrétaire général du parti des Patriotes démocrates, cet opposant avait rejoint avec sa formation une coalition de gauche, le Front populaire. Ce dernier se pose en alternative au pouvoir en place très décrié pour son incapacité à sortir le pays du blocage. Très présent dans les médias, Belaïd était connu par ses déclarations courageuses, notamment envers les islamistes. Le président Moncef Merzouki a qualifié de «crime odieux» l'assassinat de Chokri Belaïd annulant sa participation au sommet de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) au Caire pour rentrer d'urgence à Tunis. Pour lui «l'objectif de ceux qui ont commis ce crime odieux c'est que les Tunisiens s'accusent les uns les autres». «C'est un acte criminel, un acte de terrorisme, pas seulement contre Belaïd mais contre toute la Tunisie», a réagi Hamadi Jebali, le chef du gouvernement tunisien, appelant «à ne pas tomber dans le piège du criminel qui vise à plonger le pays dans le désordre». Pour Rached Ghannouchi, les auteurs du crime «veulent un bain de sang» dans le pays, rejetant toute implication de son parti Ennahda, au cœur des accusations. Le frère de la victime, Abdelmajid Belaïd, avait explicitement accusé «Rached Ghannouchi d'avoir fait assassiner son frère». Sitôt l'assassinat connu, des milliers de personnes ont manifesté pour dénoncer le meurtre devant le ministère de l'Intérieur sur l'avenue Habib Bourguiba, l'axe central de Tunis et haut lieu de la révolution de janvier 2011 qui a balayé le régime de Zine El Abidine Ben Ali. La police tunisienne a répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes sur les manifestants. Des affrontements se sont déroulés à Tunis entre manifestants et forces de l'ordre, et ailleurs dans le pays. A Mezzouna, près de Sidi Bouzid, et à Gafsa, des manifestants ont incendié et saccagé les locaux d'Ennahda. A Sidi Bouzid, Kasserine, Béja et Bizerte des foules manifestaient leur colère après le meurtre. Pour Hamma Hammami, chef du Front populaire, il est évident que «des partis politiques veulent enfoncer le pays dans l'anarchie. Le gouvernement et le pouvoir assument la responsabilité de ce crime odieux car les menaces contre Chokri et d'autres ne datent pas d'aujourd'hui». La Tunisie est au coeur d'une crise politique aiguë, faute d'un compromis sur la future Constitution qui bloque l'organisation de nouvelles élections, alors que des membres de la coalition gouvernementale réclament un remaniement du gouvernement pour retirer aux islamistes des ministères régaliens. Face à l'impasse, les violences se sont multipliées et plusieurs opposants ont accusé des milices pro-pouvoir, la Ligue de protection de la révolution, d'orchestrer des heurts ou des attaques contre l'opposition. A Tunis une foule en colère a accompagné l'ambulance transportant le corps de l'opposant s'arrêtant symboliquement devant le ministère de l'Intérieur, au centre de Tunis. «Le peuple veut la chute du régime!», ont scandé les manifestants. M. B. /agences