Le bilan est donc aléatoire pour l'Egypte célébrant, dans un contexte de violence et de crise aiguë, le deuxième anniversaire des réformes politiques inachevées et de la paralysie constitutionnelle et institutionnelle de l'Etat menacé d'« effondrement ». En Tunisie, l'assassinat de la figure de proue de l'opposition démocratique, le chef du parti des Patriotes, Belaïd Chokri, exprime le péril inquiétant des dérives chaotiques. « Quelle alternative ? La loi de la jungle ? », a martelé, au cours de la semaine d'enfer, le Premier ministre Hamadi Jebali défiant son propre camp pour éviter le « chaos et l'irrationnel ». Disons-le tout net : la crise globale du « printemps arabe », qui se décline fondamentalement en « hiver djihadiste », est l'expression de la faillite de l'alternance et de la « gouvernance » de la nouvelle majorité islamiste. Le déficit des « élites alternatives », peu préparées à conduire des réformes globales, a davantage approfondi le sentiment de frustration des populations menaçant d'une « seconde révolution » pour protester contre la dégradation de leurs conditions socio-économiques et l'absence de perspectives de sortie de crise. La fièvre est retombée dans ce qui est considéré comme le berceau et le cœur du « printemps arabe » incapable de penser et de concrétiser les idéaux de liberté, de dignité et de démocratie qui ont tant fait rêver. Le « printemps » de toutes les désillusions est la maladie contagieuse qui souffle fortement sur Tripoli hanté par les journées cauchemardesques marquant la célébration du 2e anniversaire du soulèvement. Sous haute tension, la nouvelle Libye s'est murée, à la veille de l'an II du 17 février, dans un dispositif de sécurité impressionnant pour tenter d'endiguer le mouvement protestataire des Libyens criant leur colère contre les promesses de réformes non tenues, le diktat des milices sans foi ni loi, la cherté de la vie, le chômage endémique frappant particulièrement les jeunes. Pour la militante Zahia Attia, la contestation vise à « dénoncer l'échec de l'Assemblée nationale à réaliser des avancées dans des dossiers tels que la réconciliation nationale, la répartition des ressources (...) et la rédaction d'une Constitution ». Mais, il y a pire : le fédéralisme qui monte de la ville Benghazi appelée à bouder les festivités officielles et, pour des raisons sécuritaires, d'annuler les rassemblements prévus contre le pouvoir central. La raison ? « Tout le monde porte des armes à Benghazi où règnent un chaos et une confusion générales », affirme un militant de l'opposition, Zeid al Ragas. « En tant que militant, il nous incombe de ne pas exacerber la situation pour notre ville, d'où notre décision de rester chez nous ». Le bouillonnement est intense. Il surprend aussi la nouvelle Libye menacée d'une « seconde révolution » par des internautes appelant à un « soulèvement populaire » et à la « désobéissance civile ». La menace est prise au sérieux par les autorités compétentes peu rassurées sur le « caractère pacifique » des manifestations. Il a été décidé, à l'effet d'« assurer la sécurité du pays », de procéder à la fermeture des frontières, du 14 au 18 février, avec l'Egypte et la Tunisie. C'est dans un isolement régional, accentué par la fermeture des frontières avec l'Algérie, le Niger, le Soudans et le Tchad, que la Libye vit une transition en mal de sécurité et de stabilité. Entre les velléités autonomistes qui refont surface et le sentiment de frustrations né des réformes inachevées, le devenir communautaire souffre énormément du consensus national ébranlé et du projet avorté de construction d'un Etat démocratique auparavant inexistant. « Les revendications doivent porter sur la correction du processus de la révolution et non sur la contestation ni de l'Assemblée nationale ni du gouvernement qui sont des institutions légitimes », tente de plaider Amor Bouchada, un membre de la coordination de la société civile libyenne. Les premiers pas restent insuffisants : le Conseil national de transition passant la main à la première instance élue, le conseil général national (CGN), et la constitution d'une assemblée chargée de rédiger la nouvelle constitution. Cependant, le défi de la construction démocratique est, de l'avis de tous les observateurs, l'otage de la violence illégitime des « seigneurs de la guerre », incarnée par la toute-puissance des milices supplantant les fragiles institutions, et du djihadisme montrant expressément le bout du nez dans l'assaut meurtrier du consulat américain de Benghazi. L'enjeu sécuritaire est prédominant. Plus personne n'est à l'abri de ce vent de folie : la liquidation extrajudiciaire du général Younès Abdelfattah, la tentative d'assassinat du président du CGN, Mohamed El Megaryef, dans le sud libyen, à Sebaha... Le dirigeant islamiste, Ahmed Abou Khattala, suspecté d'avoir participé à l'attaque contre le consulat américain, a échappé de peu à un attentat perpétré par des proches de Younès Abdelfattah. Quelle alternative pour la nouvelle Libye des milices de la loi des armes et de l'islamisme politique tapi à l'ombre de la coalition dirigeante ? Le fléau de l'insécurité pose, extra muros, un sérieux problème généré par « le casse-tête » des 4.000 km de frontières terrestres poreuses, sources, à vrai dire, de trafics en tous genres. Au cœur de la bataille des frontières : la circulation des armes, la filière des djihadistes écumant la région et le retour de flamme redouté du bourbier malien. Le constat de carence est dûment établi par le ministre libyen de la Coopération internationale (Affaires étrangères), Mohamed Abdelaziz, lançant, lors de la conférence de soutien organisée à Paris, le 12 février, un appel de détresse à ses partenaires européens et aux pays voisins pour un « besoin immédiat » d'un système intégré et opérationnel pour la surveillance des frontières maritimes et terrestres, la formation des garde-côtes. Outre cette coopération occidentale, le recours à une « utilisation maximale de l'expertise tribale dans les zones frontières » sera privilégié pour sécuriser la zone de no mans land. Cette démarche s'appuie sur la promotion d'un « dialogue avec les populations du Sud, notamment les Touareg », relève le document de base de la conférence de Paris. La Libye, qui rêvait de liberté et de démocratie, vit grandement les désillusions d'un « printemps » fallacieux qui n'a même pas pu lui garantir cette quiétude totalement perdue. Elle rêvait de liberté pour se retrouver dans l'emprise des milices narguant l'autorité des institutions transitoires défaillantes et la menace du radicalisme religieux aux aguets. Elle rêvait de démocratie toujours revendiquée, deux ans plus tard, par une population lassée de fausses promesses et de vaines attentes.