La Libye depuis un an est devenue source d'insécurité. C'est dans la crainte de lendemains incertains que les Libyens ont fêté hier le premier anniversaire de la chute du régime de Mouammar El Gueddafi. Un an n'a, en effet, pas été suffisant pour que la stabilité revienne en Libye et dans les régions avoisinantes, tout particulièrement au Sahel. Au contraire, la situation s'empire de jour en jour au Mali où les éléments d'Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI) contrôlent plusieurs villes du nord. Abandonnée à elle-même par ceux-là mêmes qui l'avaient aidée à se débarrasser de la famille El Gueddafi, l'ex-Jamahiriya reste aujourd'hui une poudrière. En l'absence d'institutions crédibles et fortes… ou tout simplement d'un Etat libyen, les spécialistes les plus optimistes soutiennent qu'il faudra entre 3 et 10 ans pour la remettre sur les rails. Et le premier défi pour les Libyens sera de maintenir leur unité nationale. Morcelé entre tribus et clans surarmés, le pays menace d'éclater à tout moment. En l'absence d'une police et d'une armée libyenne, les ex-rebelles, constitués en milices, font la loi. La tribu des Warfalla, qui était celle d'El Gueddafi, continuerait pour sa part à résister et à contester la légitimité du pouvoir en place. Il en va de même pour les populations Toubou du Sud libyen qui accusent les rebelles du nord de chercher à les exterminer et, donc, à les exclure du nouvel ordre libyen en construction. Le tout nouveau président de l'Assemblée libyenne (Congrès général national, CGN), Mohamed El Megaryef, voit par contre dans l'attitude de ces tribus rebelles de la défiance. Une défiance qui, pour lui, doit recevoir une réponse musclée. M. El Megaryef a estimé, à ce propos, que la «libération» du pays du régime de Mouammar El Gueddafi n'a pas été complètement réalisée et qu'il faut donc terminer le travail. «La libération du pays n'a pas été complètement réalisée dans certaines régions», a-t-il dit dans un discours diffusé dans la nuit de vendredi à samedi, citant en particulier la ville de Bani Walid, présentée comme un des derniers bastions de l'ancien régime. Cette semaine, des groupes d'ex-rebelles se réclamant de l'armée libyenne ont d'ailleurs attaqué la localité pour, ont-ils dit, y déloger les pro-Gueddafi. Depuis plusieurs mois, les rebelles accusent la ville d'abriter des criminels et des partisans de l'ancien régime recherchés par la justice. Très violents, les affrontements aurait ainsi empêché jeudi le président du CGN, la plus haute autorité politique du pays, d'entrer dans Bani Walid, où il devait tenter de négocier un compromis avec les chefs tribaux et militaires. La rupture des négociations a certainement du réjouir les partisans de la solution du «tout-militaire». Les dignitaires de Bani Walid refusent, quant eux, l'entrée de «milices hors la loi» et mettent en doute la neutralité de l'«armée nationale» qui n'existe pas encore, selon eux. Ils redoutent un sort similaire à celui réservé à la ville de Touarga, dont les habitants accusés d'avoir participé aux exactions de l'ancien régime contre Misrata durant le conflit de 2011, avaient été chassés de chez eux et leurs maisons détruites et brûlées. Dans sa plaidoirie, M. El Megaryef ne s'est par ailleurs pas empêché de critiquer le bilan du Conseil national de transition (CNT) présidé par Mustapha Abdeljalil et de dresser un bilan sombre de la période post-El Gueddafi. Il a particulièrement parlé d'un «retard et d'une négligence» dans la constitution d'une armée et d'une police, le contrôle des armes, et la non-intégration des ex-rebelles dans les institutions de l'Etat. El Megaryef tire sur le CNT et les Gueddafistes Le président du CGN a cité, en outre, un retard dans la réforme de la justice ainsi que le dossier de la réconciliation nationale. «Cette situation a engendré un état de mécontentement et de tension parmi les différentes composantes de la société ainsi que la propagation du chaos, du désordre, de la corruption, ce qui a engendré une faiblesse dans le rendement des différents organismes gouvernementaux», a-t-il déclaré. Mohamed El Megaryef a sans doute raison de noircir le tableau. En témoigne l'attaque, le 11 septembre dernier, du consulat américain à Benghazi, l'instabilité chronique qui caractérise la Libye depuis un an est devenue une importante source d'insécurité. La chute de Mouammar El Gueddafi a, de plus, ouvert un grand boulevard aux islamistes. Et même si le Parti pour la justice et la construction (PJC), vitrine des Frères musulmans en Libye, n'a pas obtenu la majorité au Parlement, celui-ci dispose tout de même de relais importants dans la société. L'influence des Frères musulmans dépasse de loin – y compris au Parlement – celle du parti qui les représente. Et tout indique qu'ils ne négligeront aucun moyen, le moment venu, pour marquer de leur emprunte le système politique libyen en construction. Au plan économique, la situation est beaucoup moins catastrophique. L'extraction de pétrole, qui était tombée à presque zéro durant la guerre, est repartie de plus belle. Elle atteint presque le niveau d'avant l'intervention franco-italo-britannique. Les affaires semblent aller tellement bien que le Fonds monétaire international (FMI) prédit à la Libye une croissance record de 116,6% cette année.Il est peu probable toutefois que les Libyens profitent de cette croissance. Ils manquent tellement de tout qu'ils sont souvent obligés d'aller faire leurs emplettes en Tunisie ou en Egypte. Le pétrole surnage en quelque sorte au-dessus d'un chaos institutionnalisé. Et la situation est malheureusement bien partie pour durer.