Les boulevard Amirouche et Che Guevara, la place des Martyrs, la galerie couverte de la Pêcherie et bien d'autres places publiques partagent le même décor de désolation et de souffrance humaine. Emmitouflés dans des couvertures et n'ayant pour literie que des cartons, ils sont allongés sur un parterre froid, mouillé et crasseux. Il est à peine 20h30. Il fait un froid glacial en cette nuit d'hiver, la circulation automobile et piétonne a presque cessé au niveau de la place des Martyrs. Une dizaine de personnes se rassemblent en groupe, chaque jour, pour attendre les dons du Samu. A l'image de Hamid, certains d'entre eux acceptent de se confier à nous. Ce dernier raconte son calvaire : « Quand j'étais bébé, des femmes m'ont élevé. A peine adolescent, je commençais à travailler de temps en temps dans un restaurant pour les aider et leur apporter un peu de nourriture de ce qui restait dans la cuisine ». Expulsée de son domicile, à Bousâada dans la wilaya de M'Sila pour non-payement de loyer depuis le décès du père, la famille de Hamid, composée de cinq enfants à la charge de la maman, s'est retrouvée dans la rue depuis neuf ans. Hamid est venu à Alger, les autres membres de sa famille s'étant dirigés vers Sidi Bel Abbès. Emmitouflé dans sa couverture, un autre jeune, Madjid, la trentaine, niveau terminale, rencontré au boulevard Che Guevara à proximité du siège du Sénat, raconte : « Pour une petite bêtise, j'ai été chassé de la maison il y a une dizaine d'années. Mon père a refait sa vie avec une autre femme après la mort de ma mère, c'est à partir de là que je me suis retrouvé à la rue ». A quelques encablures de là, Mekhaïssia, venue de Mascara, vit dans la rue depuis plus d'une année avec son enfant de 4 ans. « J'ai été chassée de la maison en 2010. Mon père n'a pas voulu me garder avec mes deux enfants ». Son autre enfant, âgé de sept ans, est pris en charge par le village SOS de Draria. « Ils m'ont pris le premier enfant, et ils veulent aussi le deuxième. Qui va me tenir compagnie dans la rue ? », s'interroge-t-elle. Son mari l'a quittée il y a cinq ans, selon ses dires. « Il aurait dû batailler avec nous », ajoute-t-elle en sanglots. Mais le spectacle le plus désolant est celui des arcades du boulevard Amirouche. Une dizaine de personnes dorment à même le sol. Dans des campements de fortune, des hommes, jeunes et moins jeunes, s'engouffrent dans des housses, pressés de se protéger du froid. Selon les représentants du Samu social, rencontrés sur les lieux, plus d'une centaine de SDF installent chaque nuit leurs abris de fortune. C'est là l'escale la plus difficile de leur tournée car, souvent, le nombre de repas et de couvertures est insuffisant pour satisfaire toutes les demandes. Il arrive qu'une bagarre éclate entre eux pour un peu de pain, de riz ou une couverture avec, à chaque fois, ce même refrain d'appel au secours : « Donnez-moi encore un peu, je vais mourir de faim ». Pour Abdelkader, les années passent sans que la solution adéquate ne soit trouvée pour lui. « On m'hospitalise à chaque fois que je tombe vraiment malade, je rentre à Dar Errahma puis je m'enfuis la semaine d'après. Je suis vraiment instable et je ne sais pas vraiment ce que je veux », lance-t-il. « Je crois que je dois mettre un terme à mes jours, je suis vraiment fatigué », a-t-il conclu. Certains affirment que même la rue leur est interdite ! « On nous a chassés de plusieurs endroits par Ouled El Houma. Où est passée la culture de la solidarité, pour laquelle sont connus les Algériens ? », s'interrogent-ils.