Le Chef de l'Etat exhorte les acteurs du secteur à rompre avec le modèle de construction de cités dortoirs. Un mois plus tard, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, déclare, depuis Annaba, que l'Etat va revoir la copie concernant les mécanismes de réalisation des logements. Le ton est donné. Au-delà des intentions affichées et des volontés exprimées, il est utile de souligner que le constat est préoccupant. L'image urbanistique de l'Algérie est hideuse. Une question s'impose : comment en sommes-nous arrivés là ? Flash-back. Symptômes Djamel Djemaï, architecte, ex -G du Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA) est catégorique : la problématique de l'urbanisme en Algérie, avant qu'elle soit celle de la « nouvelle ville », est plutôt celle de l'habitat, celle de l'organisation de l'espace de vie des populations. C'est aussi celle de la distribution spatiale de leurs activités, du développement urbain et rural, de la qualité architecturale et environnementale sans oublier l'attitude de l'usager et de la pratique collective de l'espace, des capacités de prévision et des mécanismes de gestion de l'administration. En clair, « le mal est profond », dira-t-il. Il annonce que la façon dont on avait commencé à occuper le sol après l'indépendance est symptomatique. Comment ? « Les réalisations de logements, après 1962, sont en grande partie l'application des programmes prévus par l'administration coloniale. On a construit des cités de recasement dans des zones périphériques sans forcément y prévoir des équipements et sans approche urbanistique globale », explique-t-il. Et de renchérir : « la cité dortoir a toujours prévalu comme modèle pour l'Algérien même avant l'indépendance du pays ». Après 1962, les choses n'ont pas bougé d'un iota, semble-t-il. Parallèlement, et pendant qu'une politique volontariste était mise en œuvre pour la réalisation de 1.000 villages socialistes, remarque-t-il, l'autorité politique opta pour l'industrie industrialisante retenue comme modèle de développement économique. Et alors qu'« on commençait à créer partout des zones industrielles, on espérait fixer les populations rurales dans ces nouveaux villages censés leur apporter confort et promouvoir leur mode de vie. Il n'en fut rien », dit-il. Spéculation Autre facteur nocif : la spéculation foncière. Celle-ci n'en était que plus alimentée et le rythme des constructions anarchiques, à ses dires, commençait déjà à phagocyter les noyaux urbains dits « historiques ». Pour ce qui est des transactions foncières, les ventes dans l'indivision à partir d'anciens actes au contenu « souvent approximatif » transforment des hectares de terrains libres en « lotissements informels » tout en suscitant, parfois, des contentieux judiciaires interminables entre indivisaires, condamnant, ainsi, « la situation du bâti ou de la parcelle concernée à une dégradation certaine », regrette-t-il. Entre-temps, note-t-il, les impératifs de développement et de satisfaction des besoins en équipements divers (éducatifs, socioculturels, sportifs, administratifs...) font la chasse au mètre carré à l'intérieur du périmètre urbain sans autre logique que celle de la disponibilité immédiate des terrains d'assiette et selon les opportunités du moment. Dans ces cas, « les études se réduisent au seul programme du projet à contenir dans un périmètre clôturé », affirme-t-il. Il ajoute que les tissus urbains se forment et se transforment, au gré de situations aléatoires, par rajout d'éléments bâtis hétéroclites et « sans prévision urbanistique », Le facteur social Il a tenu à souligner que les rares lotissements sociaux réalisés par les communes étaient loin de satisfaire à la demande sans cesse croissante. La démographie s'annonçait déjà galopante. La famille s'élargit et la nécessité d'extension des bâtisses s'avérait être parmi les solutions accessibles. Djamel Djemai estime qu'à quelques exceptions près, ces extensions ont échappé au contrôle. « Elles ont été faites sans autorisation. La référence à l'intérêt général n'existant pas, les ensembles bâtis et les réseaux divers (VRD) entamaient leur processus de dégradation », indique-t-il. Ahmed Tourki, sociologue chercheur à l'université d'Alger, déplore la mise à l'écart des sociologues dans la réalisation des grands projets, notamment les nouvelles villes. « La logique aurait été de consulter le sociologue avant le début des travaux », estime-t-il. Selon lui, il est vital, voire essentie,l de savoir pour qui la ville est conçue et pour quel type de personnes. « Il faut diligenter une enquête sociologique sur les postulants, sur leur niveau intellectuel, leur niveau de vie afin de dégager une base de données sur les occupants », observe-t-il. Dans cette optique il a souligné que les scènes de violence qui éclatent entre les habitants sont essentiellement dues à la non-prise en compte des études sociologiques. Planification caduque Même les réalisations publiques n'ont pas échappé à cette réalité urbaine. Il dira que c'est généralement sur le choix du terrain, à la hussarde et sans référence à un plan global, que se décide leur implantation qui privilégie la clôture périphérique comme seul élément de rapport avec l'environnement immédiat. C'est dans ce contexte « qu'il a été réalisé, en plan- type, les souks el fellah, les agences postales, les sièges de direction », souligne-t-il, avant de lancer que le processus de régularisation des constructions illicites des années 80 a achevé le décor. En quelques années seulement, les deux tiers de la population, a-t-il fait savoir, se retrouvent concentrés sur moins de 10% du territoire. « Une réalité que ni le Snat, ni le SRAT (Schémas national et régional d'aménagement du territoire) et encore moins le PAW (Plan d'aménagement de wilaya) n'arrivent à infléchir », a-t-il constaté. A partir de 1990, poursuit-il, la loi d'orientation foncière institua les PDAU et les POS comme nouveaux instruments de planification et de gestion du sol en remplacement des PUD. Sauf que cette « loi ainsi que tous les décrets et textes qui lui succédèrent n'ont pas aussi empêché le constat d'aujourd'hui. On ne fait toujours pas de l'urbanisme. Ces instruments, de leur inscription et lancement en étude à leur application en passant par leur approbation, s'avèrent lourds et sans efficience parce que dépassés par cette réalité mouvante », note-t-il. Selon lui, ils sont structurés en moyen et long terme (tout comme les SDAU et POS français desquels ils s'inspirent) toujours en décalage par rapport au rythme de croissance et d'urbanisation effrénées spécifiques à la situation algérienne. Les nouveaux programmes ne sont pas en reste. L'ex-SG du CNOA estime qu'il arrive rarement aux organismes promoteurs, publics ou privés, de lancer des opérations d'urbanisme, se suffisant de leur distribution en plan de masse élaboré dans le cadre du strict programme numérique que compte l'opération. Comme il est à savoir que les permis de construire sont accordés à partir du contrôle des servitudes (implantation, hauteur, gabarit, prospect...) lesquelles sont référencées à un « code de l'urbanism » qui n'est qu'une « compilation de textes » et « d'articles » qui participent grandement à « la standardisation des bâtiments » et dont « la simultanéité d'application n'est pas toujours cohérente et n'incite guère à l'innovation ». PUD, PUP, ZHUN...des instruments qui manquent de réflexion. Une question s'impose d'elle-même : quid des fameux PUD et PUP (Plan d'urbanisme directeur et Plan d'urbanisation provisoire) qui étaient alors les référents pour les projections spatiales et la gestion urbaine ? Réponse : « Ils n'étaient pas le fruit d'études prospectives faites à partir d'une réflexion pour un futur urbain et rural souhaité et se rapportant à tout le territoire communal », relève-t-il. « C'étaient des instruments d'urbanisme qui contenaient des programmes que les ressources financières des communes n'arrivaient d'ailleurs souvent pas à concrétiser et leur inscription étant centralisée donc sujette à des considérations spécifiques entre le gestionnaire municipal local et l'autorité politique territoriale ou centrale », appuie-t-il. « Il s'agissait alors de programmes de logements et d'équipements dont l'implantation est circonscrite à l'intérieur d'un périmètre dit « d'urbanisation ». Pour lui, c'était, déjà, là la grande erreur. Il a expliqué qu'au-delà du fondement théorique de ces PUD et PUP, discutables, « l'autorité en charge de la gestion et du contrôle de l'occupation du sol n'avait d'yeux et d'avis à émettre que pour l'espace contenu à l'intérieur de ce périmètre alors qu'il détournait le regard sur tout ce qui était hors de ce périmètre », déplore-t-il. Partant de cela, l'application sur le terrain des PUD et PUP était, à ses dires, vidés du contenu philosophique. Pis, il était même délivré des attestations de « non concerné par l'obligation de permis de construire ». Conséquences : ruée vers toutes les étendues des terrains hors « périmètre à urbaniser », constituant le réceptacle tout indiqué de la prolifération des premières constructions informelles et illicites donnant lieu à un phénomène d'urbanisation échappant à tout contrôle et induisant une spéculation foncière des plus spectaculaires. Puis vint le tour des Zones d'habitat urbain nouvelles (ZHUN). Destinées, au départ, pour devenir des ensembles d'habitat intégré dont la densité ne doit pas dépasser 50 logements/hectare, leur implantation n'a été, souligne-t-il, que « consommatrice d'espaces, aux étendues non définies, vagues et disparates, parce que dictées par la logique du plan de masse et du chemin de grue et rien d'autre ». Quid des professionnels du secteur ? Cette situation de machine à « produire et reproduire la médiocrité » a-t-elle suscité des réflexions des professionnels, spécialistes et autres universitaires ? Selon Djamel Djemaï, des séminaires aussi bien sur la qualité de la production architecturale, la promotion foncière et immobilière que sur la croissance urbaine sont organisés et des recommandations arrêtées. Mais « sans jamais être suivis d'actes tangibles », regrette-t-il. Pour lui, cet effort de réflexion, d'analyse et de recommandations n'incitant pas l'intérêt des pouvoirs publics harcelés par des poussées contestatrices des citoyens, consentent des aides financières considérables à l'accession à la propriété sous diverses formules qui sont autant de motifs à « persévérer » dans la construction sous le signe de « l'urgence » avec toutes les conséquences sur le plan de la qualité et sans, pour autant, régler le problème de fond. Quant aux entreprises de réalisation, elles sont toutes TCE (entreprise tout corps d'état) sur le registre du commerce alors que le ferrailleur, en début de chantier, devient, à la fin, poseur de faïence. Enfin, comme pour un début de solution, l'ex-SG du CNOA a évoqué la nécessité de procéder à une répartition des missions, voire la création d'autres structures gouvernementales en charge de l'urbanisme et de l'architecture. Une structure capable de décloisonner entre départements gouvernementaux en y établissant des « ponts » de coordination « de façon à ce que ces deniers intègrent à leurs préoccupations propres celles du cadre de vie communes à tous », préconise-t-il. Pour lui, il est bien temps de créer « un ministère chargé de l'architecture et de la qualité de vie ».