L'évolution du secteur de l'audiovisuel est telle que l'Union européenne en arrive à lancer un appel public, le 24 avril dernier, pour requérir les avis de professionnels et du large public, sur les implications envisageables de cette convergence entre les contenus et technologies de télévision et du web, et surtout décider s'il y a lieu de modifier, en conséquence, son arsenal juridique, essentiellement, la directive 2010 sur les médias audiovisuels. L'approche des représentants de l'Europe n'occulte pas le prisme de la concurrence économique qui risque de faire rage sur ce secteur en mutation, dans lequel l'Europe accuse un déficit important vis-à-vis du marché nord-américain. « Notre déficit vis-à-vis des Etats-Unis en matière audiovisuelle est supérieur à 8 milliards d'euros par an », a fait savoir la commissaire européenne chargée des nouvelles technologies, Neelie Kroes, citée par le site www.01.net, ajoutant que « la télé connectée est un défi que nous devons relever, mais elle crée aussi des problèmes de concurrence et nous devons aider les entreprises européennes à prospérer et soutenir la créativité ». La démarche de l'Union européenne lui servira également pour interroger « la liberté des médias et la protection des enfants » et notamment pour savoir s'il faut soumettre les contenus de télévision et ceux de l'internet au même moule juridique, s'il y a lieu de faire quelque chose au niveau des normes, certains appareils audiovisuels ne fonctionnant pas sous les mêmes normes dans tous les pays européens, et aussi au niveau du financement de la production audiovisuelle, pour soutenir les entreprises européennes face à la concurrence étrangère. A l'issue de l'exploitation des résultats de cet appel public, l'Union européenne sera plus à même de savoir s'il faut ou non modifier sa législation en la matière. Cet appel de l'Union européenne remet au devant de la scène l'évolution que connait actuellement le secteur de l'audiovisuel soumis à de multiples bouleversements engendrés par la convergence des technologies et des contenus. Il est fréquent pour de plus en plus de personnes de regarder la télévision et commenter son programme préféré sur un second écran. Ce que désigne le concept anglophone de « social TV » ou comment être devant sa télé et rester connecté avec son milieu social. Le site www.socialtv.fr en donne la définition suivante : « C'est la convergence entre le contenu (TV en direct, en rattrapage...) et les réseaux sociaux : l'interaction sociale qui en résulte est une expérience enrichie et le début d'une conversation autour du contenu TV. Un nouvel éco-système audiovisuel autour de la social TV voit le jour... » Depuis quelque temps, en effet, la télévision se consomme en connecté, avec un autre écran, celui d'un téléphone portable ou d'une tablette. Cette nouvelle tendance dans la consommation des programmes de télévision tend à se répandre. Sous le titre « Les smartphones et les tablettes changent la donne », le site du journal français www.dna.fr consacre un long article au sujet en notant que « les derniers jeux Olympiques à Londres ont ainsi généré 150 millions de tweets partout sur la planète : les téléspectateurs regardaient les exploits des athlètes et les commentaient en temps réel sur les réseaux sociaux, principalement Twitter mais aussi Facebook ». Même les programmes politiques n'y échappent pas, selon ce site qui illustre cela par le fait que « le premier débat entre Mitt Romney et Barack Obama, l'an dernier, a été commenté par 11 % des téléspectateurs américains. Le duel du second tour entre Nicolas Sarkozy et François Hollande a généré 300 000 tweets, il y a un an. » D'après Médiamétrie, la société française d'analyse des audiences médias, « plus d'un tiers des Brésiliens et des Chinois regardent la télévision en surfant sur un réseau social ». Cette explosion de l'usage social des programmes de télévision est rendue possible par de nombreuses innovations, notamment par l'entrée de plus en plus remarquée des réseaux sociaux dans la production et la consommation de l'information. Ainsi Twitter, qui est en premier chef un outil de divertissement, principalement pour la télévision, « s'avère être une des locomotives du déploiement du second écran », écrit le site www.zdnet.fr qui se réfère à des indications statistiques fournies par la 2ndScreenSociety, dans un rapport très complet sur le Second écran en 2012 au dernier Consumer Electronic Show tenu du 7 au 11 janvier dernier à Las Vegas. Selon ce rapport qui a inspiré l'article publié sur ce site, « la 2ndScreenSociety démontre que l'usage des seconds écrans est une réalité, puisque 40 à 86 % des téléspectateurs américains et anglais utilisent un second écran en regardant la télévision. Pour appuyer sa démonstration, le rapport précise que GetGlue, une des applications leader aux Etats-Unis a vu passer son nombre d'utilisateurs de 1 million en mars 2011 à 3,5 millions en janvier 2013 ». La 2ndScreenSociety est une association fondée par des industriels et opérateurs américains de l'audiovisuel et du net, destinée à œuvrer à « faire avancer la création, la production et l'adoption de contenus, d'applications, d'appareils et de systèmes de distribution au sein du 2nd Screen Engagement Ecosystem ». La télévision sociale est ainsi devenue une réalité qui tend à bouleverser les normes du secteur audiovisuel à l'ensemble des niveaux : production, programmation, diffusion, consommation et feed back. Pour le site www.clubic.com « distribution de contenus pour le multi-écrans, applications de second écran permettant des interactions avec la TV sont donc désormais des principes acquis par le marché ». Le site fait parler Jim Stewartson, p-dg de Rides.tv pour qui « c'est la nouvelle grammaire du divertissement... L'arrivée de nouvelles technologies et donc de nouveaux outils apporte des promesses tout aussi intéressantes, choses auparavant impossibles avec les petits écrans de nos téléphones portables ». La tendance est mise à profit par les éditeurs des programmes audiovisuels qui se sont mis à surfer sur cette vague de l'interactivité pour le spectateur, pour faire partie de ces modes de distribution. « En proposant un contenu en ligne, ces sociétés proposent des offres permettant de monétiser leur audience grâce à la publicité mais aussi des outils d'analyse plus fins permettant de mieux connaître les habitudes de consultation du public. En sus du service de distribution de vidéo à proprement parler s'ajoute enfin une promesse, celle de se constituer via les groupes Facebook ou les chaînes YouTube des bases d'utilisateurs réguliers », explique le site www.socialtv.fr. Les éditeurs poussent l'initiative un peu plus loin si l'on en croit le site www.cubic.com pour qui « le public peut donc non seulement consulter un contenu lorsqu'il le souhaite, interagir avec, mais également y participer en tant qu'acteur », et fait revenir Petter Westlund, fondateur de B-reel, sur la série « The Beauty Inside « dans laquelle chaque spectateur peut jouer un épisode ». « Le public a écrit les histoires avec la production car nous étions en connexion avec lui. En fait, nous avons simplement utilisé les technologies qui existent déjà pour mettre en place des formats qui engagent les internautes », explique Petter Westlund. Le site souligne ensuite que « le scénario, qui a séduit Intel et Toshiba, est celui d'une personne qui, tous les matins, se réveille avec un visage et un âge différent. N'importe qui peut donc incarner le personnage principal... » Au regard de ces évolutions, il y a lieu de réfléchir aux multiples enjeux qui en découleront pour les industries audiovisuels mais aussi pour les politiques et législateurs. Le site www.socialtv.fr estime ainsi que pour les éditeurs de télévision, « l'enjeu principal est de placer les téléspectateurs dans les conditions idéales pour pouvoir interagir ». Interrogé sur le site www.dna.fr, Arnaud Mercier, professeur en information et communication, explique ainsi l'anticipation des chaînes de télévision face à ce phénomène : « Elles ont intérêt à canaliser le flux de conversation qui de toute façon aura lieu sans elle. Cela peut générer une forme d'engagement plus passionnelle dans le programme et donc renforcer l'audience. C'est important pour le public jeune qui tendanciellement fuit la télévision ou la regarde en différé. C'est une population qui quitte les logiques d'audience construites. Donc générer de la discussion permet de les attirer : l'intérêt est de regarder le programme en même temps que tout le monde. » Il s'agit ainsi d'être non seulement à l'écoute des attentes des téléspectateurs mais aussi de les guider vers de nouveaux usages et de nouvelles pratiques dans la consommation des programmes de télévision. En marketing on peut dire « les fidéliser pour en faire les meilleurs ambassadeurs des marques ».