Dans cet entretien à cœur ouvert, il parle à nos lecteurs du programme de l'institution qu'il dirige, de ses missions ainsi que de ses objectifs. L'écrivain évoque, également, ses projets littéraires, la situation de l'édition dans notre pays et la place qu'occupe la langue arabe. Un mot sur la Bibliothèque nationale ? La Bibliothèque nationale est une institution culturelle qui joue un rôle important dans le cadre de la sauvegarde du manuscrit et du livre ainsi que la mémoire culturelle nationale. Durant mon passage à la tête de cette bibliothèque, j'ai fait en sorte de lui garantir le meilleur des fonctionnements pour lui permettre de jouer pleinement son rôle, et ce, en collaboration avec les parties qui ont un lien avec le livre et la culture. Je pense qu'il reste encore des défis à relever, en particulier le projet de numérisation de la Bibliothèque nationale. J'espère que le ministère de la Culture parviendra à mener à bon port ce projet, que l'Agence nationale des grands projets culturels a pris en charge. L'appel d'offre est déjà lancé, et j'espère que le projet en question sera concrétisé et sera mis au service du livre et de la culture. Quelles sont vos priorités en tant que premier responsable au Haut conseil de la langue arabe ? J'ai remplacé M. Ould Khelifa qui a beaucoup apporté à cette institution. Il a instauré de véritables traditions à travers, notamment, l'organisation de plusieurs rencontres, de colloques et la publication de guides dans le cadre du développement et de la promotion de la langue arabe. Ce qu'a fait mon prédécesseur est un travail colossal qui constitue une véritable base qui nous aidera à aller de l'avant. On travaille dans le même esprit, la continuité et les orientations de M. Ould Khelifa qui a su imposer, avec son sérieux, la présence sur la scène sociale et culturelle algérienne de cette institution. La direction actuelle a tracé un programme en tenant compte des objectifs et des missions du Haut conseil de la langue arabe, en étroite collaboration avec les institutions et toutes les parties à même de promouvoir cette langue. Dans ce cadre, on a déjà tenu deux symposiums dans la capitale qui ont été une réussite, sur la thématique du contenu numérique en langue arabe, qui, malheureusement, ne dépasse pas les 3 %, du contenu mondial sur Internet, dont 57 % de ces 3 % sont détenus par la Jordanie. Il faudra tout un travail de sensibilisation. Je ne vois pas ce qui empêche les universités, les laboratoires, les médias et les chercheurs à avoir leur propre blog pour s'exprimer. On doit penser à la mise en œuvre, dans ce domaine, d'une stratégie nationale. Il est vrai que plus de quatre millions d'Algériens sont sur la Toile, mais au-delà du fait qu'ils y sont, il reste que la qualité du contenu —des idées qu'ils y expriment — laisse à désirer. Internet n'est pas seulement fait pour discuter. En la matière, la Suède, qui n'est qu'un petit pays, dépasse le monde arabe. De par sa situation stratégique, notre pays est appelé à mener la bataille de la numérisation en développant la langue arabe, parce que la numérisation n'est pas, à mon avis, un choix, mais plutôt une nécessité impérieuse. Faute de quoi, il restera une société de consommation. Quelle place occupe la langue arabe ? La langue arabe n'est pas comme d'aucuns la présentent. Je ne suis pas de ceux qui dressent un tableau noir à chaque fois qu'ils en parlent. L'ensemble des langues vit, aujourd'hui, une situation de transformation et de développement. L'anglais est rudement concurrencé par la langue espagnole. A l'heure actuelle, la traduction est la langue avec laquelle travaille l'Union européenne, au sein de laquelle s'exprime une vingtaine de langues. L'on affirme que les langues qui n'ont pas une grande assise géographique connaîtront, en 2025, un net recul ; qu'il ne restera que trois langues au niveau de l'union en question car celle-ci consacre 40 % de son budget à la traduction. Les Chinois qui se sont installés dans plusieurs pays grâce à leur savoir-faire économique commencent à développer leur langue. Aujourd'hui, pour des raisons évidentes, beaucoup d'Algériens se sont mis à apprendre cette langue, qui même si elle nous paraît difficile, son apprentissage devient de plus en plus facile, en raison des méthodes mises en œuvre pour son enseignement. Les Allemands sont en train de développer leur langue, parlée notamment en Europe de l'Est, alors que les Français, qui ont pris conscience du recul de leur langue ont, depuis 2007, pris une batterie de mesures pour que leur langue ne perde pas du terrain. Il ne faut pas aussi oublier le phénomène du retour aux langues vernaculaires, à cause des différentes pressions induites par la mondialisation. On trouve aujourd'hui plus de 500 langues sur la Toile. Au Sénégal et au Cameroun, par exemple, on s'exprime dans les langues maternelles sur Internet. C'est dire qu'il existe une guerre linguistique invisible, semblable aux guerres sur l'eau et le savoir. Cela ne concerne pas uniquement la langue arabe mais toutes les langues. Je pense que la langue se développe en même temps que la société qui la parle, parce que la langue est un être qui peut se développer ou s'affaiblir selon son utilisation. Quel rôle joue l'écrivain dans le développement de la langue ? L'écrivain ne développe pas la langue, mais son âme. C'est ce qu'a fait, par exemple, Nadjib Mahfoud. La langue arabe possède plus de douze millions de mots, mais on n'utilise que 0,04 %, soit entre six mille à douze mille mots, au moment où les Anglais, dont la langue ne dépasse pas un million de mots, en utilisent 44 %, parce que leur langue est ouverte, réceptive et respecte l'identité des autres langues. Ces derniers temps, en France, le débat tourne autour de la nécessité d'ouverture linguistique, parce que le français perd de plus en plus de terrain. La langue arabe, dans certains cas, a cette possibilité d'ouverture. Dix personnes peuvent créer une langue. L'espéranto est une langue créée, il y a un peu plus d'un siècle, par un médecin polonais. Elle est parlée et écrite aujourd'hui par plus de dix millions de personnes. Il est vrai qu'une langue disparaît tous les quinze jours, mais Internet a permis la réapparition de plusieurs langues considérées comme mortes. S'il est vrai qu'à l'instar des autres langues, l'arabe vit des hauts et des bas, il n'en demeure pas moins que des chercheurs et des institutions veillent et, surtout, travaillent à son développement. L'institution que je dirige a publié beaucoup de guides scientifiques qu'elle a mis à la disposition des chercheurs. Au début, vous avez été un homme de presse. Dites-nous comment s'est faite la transition du journalisme à la littérature ? Je suis énarque avant d'être journaliste. Je publiais des poèmes à la fin des années 1970 dans la presse nationale de graphie arabe. J'ouvre une parenthèse pour souligner que même si aujourd'hui la presse nationale est forte de 130 titres, la place consacrée à la création littéraire ainsi qu'aux jeunes écrivains et poètes n'est pas importante. La presse devrait aider et participer à la promotion et à la mise en valeur des auteurs, de leurs œuvres et les travaux consacrés à la littérature. Un nombre important de livres est édité, malheureusement ils passent inaperçus, faute de médiatisation et de promotion. Les pouvoirs publics ont beaucoup fait dans le cadre de la promotion du livre, mais les éditeurs n'accomplissent pas leur devoir convenablement. Le travail d'un éditeur ne se limite pas uniquement à l'édition, mais aussi à sa promotion. L'auteur doit promouvoir son œuvre, certes, mais l'éditeur doit aussi la faire connaître. On a l'impression que certains éditeurs ont peur de perdre de l'argent en faisant la promotion des livres qu'ils publient... J'ai obtenu, en 1982, le premier prix de poésie. Je m'intéressais à la littérature dès mon jeune âge, pour la simple raison que j'ai grandi au sein d'une famille qui aime le livre. L'environnement familial m'a beaucoup aidé à me lancer dans l'aventure littéraire. J'ai intégré le journal « Echaab », en 1986, où j'écrivais sur la culture, la politique et le sport. J'écris toujours malgré mes obligations professionnelles. Que vous rappelle « Au commencement étaient les Aurès » ? C'est mon premier recueil de poésie. Je l'ai publié en 1985. Je tiens beaucoup à ce recueil, parce qu'il a une place particulière dans mon cœur. C'est comme une maman quand elle parle de son premier enfant. Quand j'y pense, il y a toujours cette nostalgie qui me rappelle une certaine époque. Depuis la concrétisation, il y a presque trente ans, de mon premier rêve littéraire, j'ai publié un ensemble d'une trentaine d'œuvres. Je me suis mis d'accord avec la maison d'éditions Dar El Maarifa pour la publication d'une vingtaine d'œuvres. Il s'agit de sept romans, dont six sont traduits en français, de récits, d'un livre sur le sport. Je compte également rééditer mon premier recueil de poésie, parce que beaucoup d'étudiants me disent qu'ils ne le trouvent pas en librairie. Dans mes œuvres, j'aborde tous les sujets en rapport avec la réalité sociale, politique, culturelle et sportive de notre pays. J'écris sur ce que vit le peuple. J'écris aussi sur l'histoire, la guerre des mémoires et l'insécurité linguistique. J'ai rédigé une autobiographie de mon grand- père qui faisait partie de l'association des ulémas musulmans. J'ai également achevé la rédaction d'un roman qui s'intitule « Irhabis ». L'histoire se déroule dans une île qu'habite un groupe terroriste. Une équipe de journalistes se rend sur l'île pour constater de visu si ces gens peuvent avoir ou non une vie humaine normale. J'ai aussi finalisé un scénario qui raconte les moments qui ont précédé la colonisation de notre pays. Je l'ai intitulé « Le Dey et l'Eventail ». Je l'ai proposé à la télévision qui l'a accepté, parce qu'il parle de notre mémoire collective. Hormis Ahlam Mosteghanemi et quelques voix qui se sont imposées ces dernières années, grâce à la qualité de leurs œuvres, les auteurs algériens qui écrivent en langue arabe peinent à s'imposer sur la scène littéraire arabe... Je peux affirmer que les écrivains algériens d'expression arabe sont devenus un « danger » pour les romanciers moyen-orientaux. La preuve, nos écrivains ont raflé plusieurs prix dans les pays arabes. Depuis quelques années, les écrivains algériens sont présents en force sur la scène littéraire arabe. Je pense que ce qui nous manque, c'est plutôt des médias forts. Nous avons des médias qui sont fortement présents localement, mais absents au-delà des frontières. Tout le monde sait que vous êtes un grand lecteur. Quelles sont vos lectures préférées ? J'ai beaucoup d'auteurs algériens de ma génération : Slimane Djouadi, Ahlam Mosteghanemi, Tahar Djaout et Wassini Laradj. J'ai particulièrement aimé la poésie du grand Moufdi Zakaria, le poète de la révolution. En bref, je peux dire que j'ai lu pratiquement la majorité des écrivains et poètes qui sont le produit de la culture algérienne. J'ai également lu Mahmoud Darwich, Samih el Kacem, Nezar Kobani ainsi que beaucoup de romans traduits. Cependant, mes livres préférés sont ceux qui parlent de la pensée, d'où ma vision futuriste dans mes livres.