Le Premier ministre turc est passé aux actes. « Cette affaire est maintenant terminée. Nous ne montrerons plus de tolérance », a déclaré Erdogan devant les députés de son Parti de la justice et du développement (AKP). Après avoir volontairement quitté, le 1er juin, la place emblématique Taksim, la police a, une nouvelle fois, donné l'assaut, dans la matinée d'hier, pour déloger les manifestants, présentés comme des « pillards », des « extrémistes et des « vandales ». La bataille des symboles conditionne la reprise en main musclée du parc Gezi, qui est « un parc et non une zone d'occupation », a fait remarquer Erdogan. Le processus de démythification s'appuie, aux yeux du gouverneur d'Istanbul, Hüseyin Avni Mutlu, sur le fait que « le spectacle a terni l'image du pays aux yeux du monde ». La force a primé sur les revendications démocratiques et les idéaux de liberté érigés en porte-étendard par une composante de la société turque qui ne se reconnaît pas dans le modèle turc en crise. « Nous allons nous battre, nous voulons la liberté. Nous sommes des combattants de la liberté », a déclaré un jeune manifestant. Pourtant, la décrispation, annonciatrice du rendez-vous fortement attendu entre les représentants des manifestants et le chef du gouvernement turc, prévu aujourd'hui, laissait espérer un dénouement heureux de la crise de Taksim, noyée, néanmoins, dans un nuage de gaz lacrymogènes et évacué après 3 heures d'échauffourées. La stratégie de la confrontation accentue le risque de fracture entre le parti majoritaire, crédité de 50% des suffrages, et la société civile. Plus de 70 avocats, en grève dans le palais de justice depuis le début de la fronde, ont été interpellés par la police, à Istanbul, selon l'Association des avocats contemporains. La fracture traduit les visions antagoniques de la Turquie laïque et moderniste et la Turquie d'Erdogan rêvant de grandeur ottomane et aux ambitions de puissance régionale, voire mondiale, contrariées par les contestataires traités en « marginaux » et en « capulcu » (racailles). Le défi de la rue est intolérable. Face à la Turquie de la minorité électorale (1/3 des suffrages), représentative des élites kémalistes, de la classe moyenne et d'une partie de la jeunesse, le pari d'Erdogan convoque la bataille décisive des municipales pour administrer une « première leçon par des voies démocratiques, dans les urnes ». Un pari risqué selon nombre d'observateurs qui reléve le changement du rapport de force interne, la perte de l'aura d'Erdogan critiqué autant pour son autoritarisme que les promesses de réformes non tenues et le désaveu cinglant des alliés occidentaux dénonçant « le recours excessif à la force » et rappelant le droit à manifester pacifiquement. Affaibli par le mouvement de protestation qui ne semble pas désarmer, le gouvernement Erdogan peut être ainsi voué à un isolement international qui peut s'avérer fatal. Pis, la légitimation de la violence pour régler le face à face périlleux des deux camps sur le pied de guerre. Entre les partisans d'Erdogan, convoqués au rassemblement de samedi et dimanche prochains, et le mouvement de protestation écumant les grandes villes, la veillée d'armes n'est pas sans susciter de sérieuses appréhensions sur les risques bien réels de dérapages.