L'Egypte et le monde, inquiet des dérives de l'un des bastions du « printemps arabe », retiennent leur souffle. C'est aujourd'hui que l'épreuve décisive, engagée par l'opposition pour tenter de destituer le président Morsi, renseignera à coup sûr sur l'issue du tragique face à face porteur d'incertitudes sur l'avenir démocratique et la stabilité de l'Egypte. A l'appel de Tamaroud et des formations de l'opposition, des manifestations massives entendent sonner le glas du régime islamiste, célébrant son premier anniversaire dans un climat de désobéissance civile et politique. Selon le porte-parole du mouvement contestataire, Mahmoud Badr, la pétition, qui a recueilli plus de 22 millions de signatures, fragilise davantage le président Morsi, élu au second tour à une majorité relative nettement inférieure (13,23 millions, 51,7% des suffrages exprimés). La bataille de la légitimité est lancée pour pousser à la sortie le président qui ne veut pas céder d'un iota le pouvoir acquis par la voie des urnes. Les partisans du parti majoritaire récusent la démarche, jugée sans valeur constitutionnelle aucune et estimant incontournable la solution démocratique pour décider du maintien ou du départ du chef d'Etat. Au bord de l'implosion, les deux Egypte, aux visions antinomiques, consacrent la fracture indéniable ente « l'Egypte et les frères musulmans », selon la formule utilisée par Al-Tahrir, proche de l'opposition laïque. La « bataille des places » fait rage entre les opposants, faisant renaître un « air de révolution » sur la place Tahrir, et les islamistes campant aux abords de la mosquée du faubourg de Nasr City pour mettre en échec le « coup d'Etat contre la légitimité ». Dans un climat politique des plus délétères, aggravé par les effets de la crise économique et le regain de tensions confessionnelles, le scénario tant redouté de la guerre civile est alimenté par la résurgence de la violence qui a fait, depuis mercredi, principalement à Alexandrie et dans le Delta du Nil, huit morts dont l'Américain Andrew Pochter. Des locaux du PLJ (Parti de la liberté et de la justice) au pouvoir ont été attaqués. Hier, les manifestants de chaque camp ont dressé des barricades d'une veillée de campagne qui ne dit pas son nom. Le pire est-il à venir ? Washington, décidant du rapatriement d'une partie de son personnel diplomatique et consulaire, l'ambassade française limitant au « strict nécessaire » les déplacements et Londres recommandant formellement d'éviter la péninsule du Sinaï, ont clairement exprimé leur préoccupation sur la détérioration de la situation en Egypte. « Nous suivons la situation avec inquiétude », a déclaré Obama lors d'une conférence tenue à Pretoria, appelant son homologue égyptien à avoir un « dialogue plus constructif ». Il y a assurément péril en la demeure que tente de conjurer l'armée prête à intervenir « face à la spirale qui entraîne le pays dans un conflit incontrôlable ». Au banc des accusés : la gouvernance islamiste marquée par l'échec de la transition, en panne d'initiatives rassembleuses, le marasme économique et social de nature à faire changer l'espoir de camp et l'absence de programme économique crédible. Accusé d'autoritarisme, le président Morsi veut renouer les fils distendus du dialogue rejeté d'emblée par l'opposition plaidant pour une élection présidentielle anticipée. Dans un discours télévisé, il a estimé que la polarisation peut conduire à la « paralysie » et au « chaos ». La réconciliation ou l'épreuve de la rue ?