Depuis hier, le chantier prioritaire du nouvel exécutif a été laborieusement entamé pour relancer le processus de remise en ordre institutionnel. Tout ne sera pas facile dans ce long cheminement qui peut s'avérer ardu. Réussira-t-il à rassembler les Egyptiens de toutes tendances dans la dure épreuve de la transition, en évitant de reproduire le schéma d'exclusion privilégié par les Frères musulmans qui ont accaparé les leviers de l'Etat au profit exclusif de leur parti ? Dans un geste d'apaisement, les observateurs relèvent que le Premier ministre a donné des assurances sur le maintien de l'article 2 de la Constitution stipulant que la charia est la source de législation. Selon le calendrier établi, un comité d'experts doit être formé d'ici à quinze jours pour l'amendement du texte fondamental soumis, dans un délai de 4 mois et demi, à référendum. Dès son adoption, le processus électoral sera mis en branle avec le rendez-vous des législatives dans les 15 jours qui suivent, au tout début de l'année 2014. Il sera immédiatement suivi de la présidentielle, une fois le nouveau Parlement réuni. Dans l'intervalle, le Premier ministre est appelé à émettre des lois, après consultations du gouvernement transitoire. Ce plan de transition ne fait pas encore consensus. Premier accroc et non des moindres : la fin de non-recevoir de l'opposition laïque et, bien sûr, des islamistes. Contre toute attente, le FSN (Front de salut national) du tout nouveau vice-président chargé des relations internationales, Mohamed ElBaradeï, débouté pour le poste de Premier ministre, refuse de s'inscrire dans cette démarche . Après des critiques émises sur le cadre institutionnel, le FSN a estimé que « le désaccord » porte seulement sur des « articles » du décret présidentiel qui feront donc l'objet de « propositions d'amendements ». Même le mouvement « tamaroud » a pris ses distances en ruant dans les brancards. Sur son compte Twitter, il a dénoncé l'initiative jugée « dictatoriale ». Dans la famille de la « révolution du 23 juin », les premiers craquements se font déjà entendre dans une alliance aussi fragile. Dans l'autre Egypte, tout ne semble pas également en parfaite concordance. Après avoir cautionné la destitution de Morsi, le parti salafiste a quitté la table des négociations pour protester contre le massacre des 51 militants des Frères musulmans tués devant le siège de la Garde républicaine. Pour autant, s'ils se déclarent opposés à la nomination de Baradeï, ils ont toutefois assuré qu'ils ne s'opposeraient pas à la désignation de Hazem Al-Beblawi. La position est nettement plus tranchée dans le camp des Frères musulmans opposant un niet catégorique. La main tendue du nouveau Premier ministre leur proposant « quelques postes », a été sèchement repoussée. « Nous ne pactisons pas avec des putschistes. Nous rejetons tout ce qui émane de ce coup d'Etat militaire », a déclaré Tareq al-Morsi. Le divorce est-il totalement consommé ? Le bras de fer persiste néanmoins dans la rue où les deux parties mobilisent à bout de bras, au lendemain des funérailles des victimes du « massacre » commis, sans raison, selon les Frères musulmans, appelant au « soulèvement » ou en représailles aux attaques de « terroristes armés », selon l'armée. La violence endémique pèse lourdement sur le processus politique et démocratique. Depuis le renversement de Mohamed Morsi, les heurts ont fait une centaine de morts à travers le pays. Dans la nuit de mardi à mercredi, des attaques de militants armés contre une base de la police et deux points de contrôle ont en outre fait deux nouveaux morts dans la péninsule du Sinaï. Cette situation explosive a amené l'armée égyptienne à lancer une sévère mise en garde contre toute perturbation dans le « délicat et complexe » processus de transition que les Américains ont « prudemment encouragé », selon le porte-parole de la Maison Blanche. « Nous n'allons pas imposer de dates. Nous sommes prudemment encouragés par (...) un projet potentiel d'avancer vers un processus démocratique et des élections, à la fois législatives et présidentielle », a déclaré Jay Carney au cours d'un point de presse. Le Premier ministre, en économiste convaincu, aura la lourde tâche de réconcilier les Egyptiens et de refonder la nouvelle Egypte pour s'attaquer aux véritables maux : une économie en berne touchée de plein fouet par le reflux des recettes touristiques, l'effondrement des investissements étrangers et la baisse importante des réserves en devises. Soutenus par l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis qui ont été les premiers à le féliciter, Hazem Al-Beblawi peut compter sur leur aide estimée respectivement à 5 et 3 milliards de dollars.