Comme tous les jours ramadhanesques, Oran se réveille péniblement. Ses rues sont presque désertes. Le ventre vide et le manque de caféine et de nicotine aidant, l'Oranais traîne péniblement la patte. Comme un zombie. Sans maquillage, les femmes qui se pressent vers le boulot, ressemblent à des automates sortis directement de la préhistoire. Ces airs-là, hébétés et presque exsangues, durent jusqu'à quelques petites encablures de l'appel du muezzin. Car ce n'est que vers 18h que la ville se transforme en un vaste jardin où se mêlent toutes les senteurs. Une grande et étonnante cuisine commune d'où s'échappent tous les fumets au grand bonheur des narines fins gourmets qui n'attendent que l'appel du muezzin pour faire honneur à la h'rira marocaine, aux boureks algérois et aux tajines wahranis. Vers cette heure-là, les rues se mettent à se vider, petit à petit, pour basculer dans la somnolence qui précède l'heure du f'tour. Quand les natures faibles et les vieux regagnent la fraîcheur et la paix des domiciles, les jeunes, plus téméraires, s'installent dans leurs quartiers, au bas des immeubles, pour voir passer les retardataires et surtout, le temps. Ces instants crépusculaires sont les plus difficiles à supporter. Les nerfs à fleur de peau, on « écoute » les vingt dernières minutes s'égrener lentement, douloureusement. Enfin, le doux appel du muezzin sonne le tocsin. C'est enfin l'heure bénie qui permettra à la panse de se remplir et aux idées de retrouver leurs places. Les sens apaisés, on sort redécouvrir sa ville, retrouver ses murs et se mêler à la foule qui envahit les rues. Mornes et apathiques le matin, les rues deviennent grouillantes de monde le soir. Voire, exubérantes ! Les cafés retrouvent leur cohue et les consommateurs leurs volutes de fumée. Les vitrines leurs « lécheurs » potentiels. Appréciée de tous les Oranais et surtout des visiteurs, l'allée du Front de mer, qui surplombe le théâtre de verdure Hasni-Chekroune, se transforme en un précieux balcon pour écouter, à l'œil, les chanteurs qui s'époumonent sur le plateau. C'est que le Front de mer est littéralement pris d'assaut, chaque soirée, juste après le ftour, par des familles entières en quête d'un moment de détente et de fraîcheur. Ou d'un possible concert pour animer leur vécu terne et égayer leurs veillées ramadanesques. Les crémeries sont littéralement assaillies. Les coupes de glace se succèdent aux « cornettos ». Les marchands de glace sont aux anges. Et ainsi va la vie à Oran, pendant les soirées du Ramadhan, et cela jusqu'à l'heure de l'Imsak.