Tout indique que l'alibi des armes chimiques, rappelant les fameuses ADM (armes de destruction massive), introuvables à ce jour, fait le lit du scénario de l'intervention militaire clamée haut et fort par les apôtres du « devoir d'ingérence ». Fait hautement symbolique : le crime chimique a frappé lourdement (1.300 morts selon l'opposition) à quelques kilomètres seulement du quartier général des enquêteurs onusiens, arrivés deux jours plus tôt. La « ligne rouge », évoquée il y a un an jour pour jour par Obama, est tracée dans ce qui s'apparente à un « Halabja syrien », en référence explicite au massacre par arme chimique de la population kurde, dans la province d'Es Sulamaynia, commis du 16 au 19 mars 1983 par Ali Hassan al-Majid, connu sous l'appellation de « Ali le Chimique ». Quelques dissonances cependant : les réticences du directeur de l'OSDH (Observatoire syrien des droits de l'homme), Rami Abdel Rahmane, comptabilisant 170 morts dans une attaque menée par des troupes du régime et peu convaincu par la thèse du recours aux armes chimiques par Damas. C'est que le drame de la Ghouta orientale et de Mouadamiyat Al Cham, à la périphérie de Damas, est encore loin de révéler tous ses secrets. Il a eu lieu incontestablement dans la région contrôlée par le mouvement de rébellion armée qui n'est pas exempt de tout reproche, clairement invoqué par Havy Pinay, assurément dans le même rôle que le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, emporté par l'inanité des « preuves » aléatoires sur les ADM irakiennes, présentées, lors de son célèbre discours à l'ONU, le 5 février 2003. Plus crûment, le Vatican, inquiet de la montée d'un islamisme radical contraignant à l'exil la communauté chrétienne, prône une grande prudence. « Quel intérêt immédiat aurait le gouvernement de Damas à provoquer une telle tragédie, en sachant qu'il en sera de toute façon rendu directement coupable ? », a déclaré Mgr Silvano Tomasi, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations unies à Genève. L'hypothèse du « suicide politique » de Damas, affirmant qu'elle n'utilisera les gaz toxiques que « dans le cas d'une agression extérieure », ne fait pas l'unanimité. Washington, appelant ses services de renseignement à « rassembler au plus vite des informations supplémentaires », reste sceptique, alors que Moscou crie à la « provocation planifiée à l'avance ». Dès lors, motivée par « un intérêt commun », la démarche consensuelle vise à favoriser « une enquête objective de l'ONU ». Au cours d'une conversation téléphonique, le secrétaire d'Etat John Kerry et son homologue russe, Sergueï Lavrov, ont appelé, hier vendredi, le régime syrien à coopérer avec les experts de l'ONU et demandé aux rebelles de leur « garantir » l'accès à la zone qu'ils contrôlent près de Damas. « C'est maintenant à l'opposition d'assurer un accès sécurisé à la mission sur les lieux de l'incident », estime Moscou. Mais, en dépit des incertitudes américaines, le camp des interventionnistes part à l'assaut du régime de Damas, accusé, en l'absence de preuves irréfutables, de recourir aux armes chimiques. La Suède, quasi certaine de la responsabilité de Damas, la France de Hollande, qui évoque un « usage probable », et la Grande-Bretagne se lancent dans la piste du « nouveau Halabja syrien » pour défaire le nœud coulant autour de Bachar, complètement assiégé et menacé par ce que Laurent Fabius a appelé la « réaction de force ». Le secrétaire général de l'ONU, avertissant des « graves conséquences », a insisté sur le fait qu'« il n'y a pas de temps à perdre ». Il a demandé à sa haute représentante pour le désarmement, Angela Kane, de se rendre à Damas immédiatement, alors que les experts de l'ONU sont sur les lieux avec un mandat se limitant à déterminer si des armes chimiques ont été utilisées dans le passé à Khan al-Assal (nord), Ataybé (près de Damas) et Homs (centre). Des négociations ont également été entamées par le chef de l'équipe, Ake Sellström, avec le régime pour pouvoir enquêter sur l'attaque récente. Une grande victime : Genève 2, combattue par une opposition hétéroclite et enterrée sous les décombres de la Ghouta orientale et de Mouadamiyat Al Cham. A qui profite le double crime ?