La banlieue de Damas a vécu une nuit d'enfer. Le régime de Bachar Al Assad a commis un carnage, faisant au moins 1300 morts tandis que l'opposition l'accuse d'avoir fait usage d'armes chimiques. La tuerie a suscité l'indignation de la communauté internationale et porte ainsi le coup de grâce aux efforts politiques déjà essoufflés en vue de mettre fin à un conflit qui n'a que trop duré. Carnage. La Syrie est plongée dans l'enfer. Le «régime de la terreur de Damas a franchi un autre cap dans l'horreur en perpétrant un nouveau massacre dans les quartiers d'El Ghouta (banlieue de la capitale) hier à l'aube», faisant au moins 1300 morts, selon un bilan avancé par l'opposition. Une hécatombe. Les images choquantes tournées en boucle montre la monstruosité de la tuerie. Des corps par dizaines d'enfants, de femmes gisent recouvert de draps. Des vidéos diffusées par les opposants au régime montrent des dizaines de cadavres dans des morgues improvisées, sans trace de blessure apparente. Plusieurs quartiers de la périphérie de Damas sont entre les mains des rebelles ; Mouadamiya, la Ghouta, Zamalka ont été pilonnés par l'aviation militaire dans la nuit de mardi à mercredi. Les rebelles accusent le régime de Bachar Al Assad d'avoir frappé à l'arme chimique. Il s'agit du «bombardement le plus violent sur cette localité depuis le début de la campagne militaire du régime», a assuré l'Observatoire syrien des droits de l'homme. La Commission générale de la révolution syrienne a diffusé des vidéos, présentant la situation comme «un massacre épouvantable commis par les forces du régime à l'aide de gaz toxiques, faisant plusieurs dizaines de martyrs et de blessés». Pour sa part, le Comité de coordination locale (CCL), présent sur place, a affirmé que «plusieurs dizaines de cadavres présentant des signes de mort par inhalation de gaz toxiques ont été apportés dans des hôpitaux de campagne autour de la capitale». Le CCL a lancé un appel urgent à toutes les organisations humanitaires internationales, dont la Croix-Rouge, le Croissant-Rouge ainsi que les ONG de défense des droits de l'homme et la communauté internationale, «à agir d'urgence afin de sauver les civils dans la Ghouta, secourir les blessés et briser le blocus médical et alimentaire imposé à ces zones densément peuplées». De son côté, le chef de la Coalition nationale de l'opposition, Ahmed Jarba, a réclamé une réunion d'urgence du Conseil de sécurité sur le massacre et demandé aux enquêteurs de l'ONU se trouvant en Syrie en ce moment de se rendre «sur les lieux du crime». Une infirmière, Bayan Baker, officiant dans un centre médical près de Damas, citée par Reuters, affirme que «de nombreuses victimes sont des femmes et des enfants ; elles sont arrivées avec les pupilles dilatées, les membres glacés et de la mousse aux commissures des lèvres». Un chercheur français associé à la Fondation pour la recherche stratégique, Olivier Lepick, interrogé par le Monde, a indiqué qu'«au vu des symptômes et des tableaux cliniques, cela ressemble très fortement à une intoxication par un neurotoxique. Il y a l'absence de blessures physiques, les contractions musculaires, les secrétions pulmonaires par la bouche. S'il n'est question que de gaz lacrymogènes, il en faudrait des doses faramineuses pour produire un tel résultat et des concentrations difficiles à réaliser hors d'un espace confiné ou d'un laboratoire. Au vu du grand nombre de morts, je ne penche pas pour un usage de gaz lacrymogènes». Le régime du «boucher de Damas» a démenti formellement toute utilisation d'armes toxiques et qualifié les accusations d'«infondées». L'armée syrienne, dans un communiqué, a parlé d'«allégations nulles et non avenues et totalement infondées. Elles sont colportées par les groupes terroristes et les chaînes satellitaires les soutenant. Elles ne sont qu'une tentative désespérée de cacher leurs échecs sur le terrain et reflètent l'état d'hystérie et d'effondrement dans lequel se trouvent ces groupes». Les bombardements massifs, d'une rare violence, sont survenus alors qu'une équipe d'inspecteurs de l'ONU se trouve en Syrie pour enquêter sur l'usage éventuel d'armes chimiques dans le conflit syrien, qui a fait plus de 100 000 morts depuis son éclatement, en mars 2011. Plus tard dans la journée d'hier, le chef des inspecteurs de l'ONU, Ake Sellström, qui était «en discussion» avec les autorités syriennes à propos des dernières accusations d'utilisation d'armes chimiques, a indiqué que les Nations unies sont «déterminées à mener une enquête approfondie sur les incidents présumés qui lui sont signalés par des Etats membres». «Le professeur Sellström est en discussion avec le gouvernement syrien sur tous les problèmes relatifs à l'utilisation d'armes chimiques, y compris l'incident signalé le plus récemment», a assuré le communiqué de l'ONU. Le Conseil de sécurité a eu, hier vers 21h, des consultations à huis clos à propos de cet énième massacre commis par le tyran de Damas. Une réunion d'urgence s'est tenue à la demande conjointe de cinq des quinze pays membres du Conseil (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Luxembourg et Corée du Sud) ; il a été décidé d'adresser une lettre à Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, pour réclamer l'ouverture d'une enquête. Ce dernier s'est dit «scandalisé» par l'ampleur du massacre et l'éventuel usage d'armes chimiques. Condamnation internationale Le carnage de Damas a choqué toute la planète. Plusieurs capitales ont condamné les bombardements des populations civiles par l'armée du régime. Washington a réclamé expressément pour l'ONU un «accès immédiat» aux témoins et victimes des bombardements. A Paris, le président français, François Hollande, s'est engagé à «demander à l'ONU de se rendre sur les lieux de l'attaque». Son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a estimé que «si l'utilisation d'armes chimiques ce même jour était avérée, non seulement ce serait un massacre, mais en plus une atrocité sans précédent». Même son de cloche du côté de Londres où le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a exprimé l'indignation du Royaume-Uni assurant que «si ces accusations sont vraies, de telles atrocités relèvent du crime contre l'humanité». La Ligue arabe s'est jointe aussi à la l'indignation mondiale. Son secrétaire général, l'Egyptien Nabil Al Arabi, a exigé que les auteurs du carnage soient traduits «devant la justice pénale internationale». Il a appelé également les enquêteurs de l'ONU, en mission actuellement en Syrie, à inspecter «immédiatement» les lieux du massacre. Dénonçant un «crime ayant fait des centaines de victimes parmi les civils syriens innocents», M. Al Arabi s'est dit être «très surpris que ce crime ait été commis alors même que sont présents les enquêteurs de l'ONU». L'Arabie Saoudite, alliée stratégique de l'opposition menée par Ahmed Jarba, s'est dite «horrifiée». «Nous avons été horrifiés, avec le reste du monde, par le massacre odieux commis dans des villes syriennes par des armes chimiques prohibées par la loi internationale et qui a fait des centaines de victimes innocentes parmi les civils, dont une majorité de femmes et d'enfants. Un crime commis de sang-froid et sous le regard du monde», a ajouté le prince Saoud El Fayçal, ministre des Affaires étrangères de la monarchie. «Que des paroles», juge la Coalition nationale de l'opposition. La Russie seule contre tous Face à l'avalanche des condamnations internationales, la Russie de Poutine a affiché un soutien sans faille au tyran du pays d'Echam. Seule contre le monde, Moscou, l'un des fidèles soutiens au régime syrien a jugé que les accusations, selon lesquelles le régime de Bachar Al Assad aurait fait usage d'armes chimiques étaient une «provocation planifiée à l'avance». Un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères a indiqué, hier, que «des sources au sein de l'opposition syrienne avaient déjà affirmé ces derniers jours, le régime utilisait des armes chimiques, accusations qui ne se sont pas vérifiées et que des médias régionaux ayant un parti pris avaient entamé une campagne d'information agressive. Tout cela nous fait penser que nous faisons face une nouvelle fois à une provocation planifiée à l'avance». Pour les Russes, ces accusations interviennent «au moment où ont débuté avec succès les travaux des inspecteurs de l'ONU en Syrie pour enquêter sur l'utilisation éventuelle d'armes chimiques». En somme, la Syrie, engluée dans une spirale meurtrière depuis que le gangstérisme de Bachar Al Assad a opposé une guerre totale à une population qui réclamait liberté et démocratie, risque, avec le carnage d'hier, d'anéantir toute possibilité d'une solution politique négociée. Le pays semble irrémédiablement installé dans un scénario des plus sombres.