La 5e édition du Festival international de théâtre de Bejaïa prévoit, en marge des représentations, une série de conférences-débats avec différents hommes de théâtre. La conférence inaugurale, qui s'est tenue mercredi dernier, a été celle Jawad El Assadi. Le dramaturge irakien a été présenté à l'auditoire, qui a empli la petite salle de conférence du théâtre régional de Béjaïa (TRB), à travers un portrait reconstitué sur la base d'une lecture de son livre « Le théâtre est mon paradis » faite par l'écrivain algérien Amine Zaoui et l'universitaire marocain, Dr Mohamed Laamimi, qui ont relevé la singularité de cet ouvrage, rare dans le monde arabe, qui relate l'expérience professionnelle et artistique d'une carrière et de toute une vie vouée à cet art. Formé en Bulgarie, Jawad El Assadi s'est abreuvé aux sources de l'art occidental, mais a également confronté sa conception théâtrale sur les scènes de diverses capitales et villes arabes. En Algérie, il a ainsi monté « Les femmes dans la guerre », qui a été bien accueillie, et dont il dira qu'après l'avoir revue six ans plus tard, il reste étonné de voir cette pièce garder toute sa charge émotionnelle auprès du public. Il s'est dit également fortement « impressionné par le foisonnement des jeunes talents en Algérie » qui ouvre des perspectives pour la création d'une esthétique théâtrale spécifiquement algérienne. Jawad El Assadi a également tenté le projet de monter en France une pièce de Kateb Yacine, mais qui a été avortée. « Le texte qu'on m'a remis n'avait rien à voir avec Kateb Yacine. J'ai proposé d'adapter son ouvrage Nedjma et quand j'ai présenté le texte, on m'a rétorqué que c'était du Jawad El Assadi », explique-t-il, en annonçant qu'il travaillait sur un projet qui mettrait en relation l'œuvre de l'écrivain algérien et celle d'un poète irakien très connu. Lors des débats, les remarques les plus acides ont essentiellement porté sur le penchant de Jawad El Assadi pour l'expression théâtrale occidentale, l'accusant d'ignorer les formes locales traditionnelles, sur sa vie d'exil qui l'éloignerait des préoccupations du public arabe et l'exigence rigide vis-à-vis des comédiens pour qu'ils se plient strictement à l'image des personnages dont ils tiennent les rôles. Jawad El Assadi, s'il ne nie pas être exigeant concernant le jeu du comédien, se défend de vouloir faire de ce dernier une marionnette dont il tirerait les ficelles. Il estime, d'autre part, que les différentes expressions théâtrales de par le monde peuvent tout aussi bien être appréciées par les publics arabes, car les œuvres dites universelles véhiculent des valeurs partagées par toute l'humanité, et apporter une certaine richesse à un théâtre arabe dont il juge le niveau général loin de la qualité requise. Jawad El Assadi racontera ainsi sa « confrontation » avec son professeur, toujours engoncé dans son ancienne conception théâtrale, qu'il avait invité lors du montage d'une pièce, pour apprécier l'art de son ancien élève. Mais le professeur n'appréciait pas. Il changera d'avis au vu du résultat final et félicitera l'élève devenu son émule. Quant au reproche fait à sa vie d'exil, qui fut un choix brutal, le dramaturge réfute l'idée d'une coupure d'avec sa culture d'origine et estime qu'il porte toujours sa patrie en soi et que les battements de cœur de sa société sont ceux-là même qui irriguent les veines de son art. Avec beaucoup d'émotion, il relatera comment, en lisant le texte d'une pièce sur l'assassinat du poète et dramaturge espagnol Garcia Lorca, il avait pensé à son frère pour tenir ce rôle, alors que, chauffeur faisant la navette entre la Syrie et l'Irak, il n'avait aucune accointance avec le théâtre. Il apprendra, plus tard, par un coup de fil, que ce frère avait été assassiné ce jour-même, provocant sa décision de ne plus revenir au pays. Jawad El Assadi aura, au final, donné envie à l'assistance de plonger dans son ouvrage pour vivre ce paradis parfois sorti de l'enfer, comme il le dira, et qu'il a tant chéri.