Dans les kiosques multiservices, les revendeurs de tabacs ou les magasins d'alimentation générale, le citoyen se trouve contraint de payer un chiffre rond. Certains usagers de taxi ou de transport en commun ferment carrément les yeux. Si les pièces de cinquante centimes, un dinar et de deux dinars ont quasiment disparu depuis quelques années dans nos « transactions », celles de cinq dinars sont, semble-t-il, en voie de disparition. « Ces petites pièces ne servent à rien aujourd'hui car elles n'ont aucune valeur », a indiqué un épicier à Alger. Il a ajouté qu'« il existe une catégorie de clients qui refusent de prendre les pièces inférieures à 5 DA ». Cette situation arrange plutôt les commerçants. Les plus corrects offrent des bonbons « pour les enfants » en guise de monnaie. « Pour ne pas prendre ce qui ne m'est pas dû, j'offre des bonbons, tout en m'excusant de ne pas avoir de monnaie », indique le propriétaire d'un super marché à la rue Bouzrina à Alger. Un autre commerçant à la placette du square Port-Saïd est très reconnaissant aux mendiants. « J'obtiens la petite monnaie grâce aux mendiants qui viennent, en fin de journée, convertir en billets leurs gains du jour », a-t-il dit. Les mendiants et les vendeurs informels à la rescousse Cette rareté de la monnaie est source parfois d'altercations entre commerçants et clients. Certains chalands n'acceptant ni chewing-gums ni autres amuse-gueules, insistent pour que le prix du produit soit encaissé au centime près et de leur rendre la monnaie. Les plus récalcitrants changent de magasin pour une petite pièce de monnaie. Dans certains cas, le citoyen perd des sommes importantes en raison de cette situation. Le meilleur exemple reste celui du pain. Rares sont les boulangers qui vendent leur pain au prix administré. Le prix de la baguette est de 7,5 DA, mais les citoyens la payent à 10 DA. On leur soutire 2,5 DA. Ainsi, le boulanger met de côté 2.500 DA sur mille baguettes de pain vendues, de quoi acheter un quintal de farine. Un vendeur au niveua d'une boulangerie à la rue Ahmed-Chaïb (ex-de Tanger) (Alger) indique que « nous sommes dans l'obligation d'arrondir le prix, même les banques ne possèdent pas ces petites pièces ». Les boulangers font des gains considérables grâce à cette « marge » entre le prix légal et celui pratiqué. Les pharmaciens tirent, eux aussi, des gains importants. Ils n'ont, dans la plupart des cas, que des pièces de dix dinars comme monnaie. Et les malades n'ont d'autre choix que de dire : « Gardez la monnaie ». Certains se voient parfois contraints de refuser la vente de médicaments à cause de l'indisponibilité de la petite monnaie. C'est ce que nous confirmé Ouahiba, une pharmacienne qui a avoué que son fonds de caisse s'épuise très vite et qu'elle se retrouve dans l'incapacité de rendre la monnaie. Pour expliquer la disparition de la petite monnaie des caisses, certains pharmaciens diront que c'est à cause de la Banque d'Algérie qui a arrêté, depuis longtemps, de fabriquer ce genre de monnaie. Selon un chauffeur de taxi, s'il n'y avait pas les vendeurs informels de tabacs et les mendiants qui l'approvisionnent régulièrement, il se retrouverait souvent dans l'embarras face à ses clients. Il confie avoir sollicité à plusieurs reprises les banques et les postes pour avoir de la monnaie, mais à chaque fois ces structures lui répondent qu'elles-mêmes en manquaient. Vivement le paiement électronique ! Contacté par nos soins, le secrétaire général de l'Union générale des commerçants et artisans algériens, (UGCAA) Salah Souilah, a fait savoir que l'association ne peut pas réagir « tant qu'il n'y a pas de plainte ni de la part des commerçants ni des consommateurs ». Il affirme que les Algériens ne sont pas du tout conscients des économies qu'ils peuvent faire en réclamant la petite monnaie. « Il n'y a que les Algériens qui ferment les yeux sur les petites pièces », a-t-il soutenu. De son côté, Abderrahmane Benkhalfa, ex-président de l'Association des banques (Abef) et consultant en économie a indiqué que la rareté de la petite monnaie est « liée à l'usage de l'unité ». Selon ses explications, « l'évolution de la monnaie divisionnaire va avec le produit national tout entier. Mais dans notre pays, surtout avec la dévaluation du dinar, ces petites pièces ne circulent pas avec l'évolution monétaire et c'est pour cela qu'elles sont presque insignifiantes », dira-t-il. L'économiste Mustapha Mekidèche se rappelle de la mise en circulation de grosses quantités de petite monnaie dès le mois de juin par la Banque d'Algérie. Ces quantités « n'ont servi à rien », selon ses propos. Cette mesure prise dans le but de relancer l'utilisation de la petite monnaie sera inutile « tant qu'il n'existe pas une réelle politique transparente sur l'affichage des prix », nous a-t-il expliqué. Il a indiqué aussi que la petite monnaie n'est pas indispensable puisque les commerçants arrondissent les prix et évitent les centimes. « Les commerçants ont tendance à arrondir les chiffres. Ils n'affichent jamais les centimes. On ne trouve pas, par exemple, un kilogramme de pomme de terre à 28,50 DA, mais à 30 DA », a-t-il relevé. Il a, en outre, indiqué que le citoyen « devrait être en mesure de comprendre qu'aujourd'hui on doit passer par la banque pour les transactions importantes ». « Le paiement par chèque ou par carte magnétique est inéluctable », a-t-il dit. Le problème de la petite monnaie et la monnaie divisionnaire demeure toujours un casse-tête pour les clients et les revendeurs. Nos différentes tentatives de contacter la Banque d'Algérie pour un peu plus d'éclairage sont restées vaines.