Qui mieux qu'un libraire pour nous éclairer sur la valeur réelle des volumes de vente des livres et donc sur la lecture en elle-même. Le marché du livre est en crise et c'est les libraires qui le ressentent. A Constantine, les librairies sont de moins en moins répandues et celles qui font de la résistance sont de moins en moins fréquentées. Au centre-ville, ce sont une demi-douzaine de librairies qui existent encore dans une cité dont l'appellation courante est celle de « ville de la culture et du savoir ». Dans une intention commerciale, certaines librairies, mal au point, ont garni leurs étagères de jouets pour enfants ou de CD. En pareilles circonstances, le métier de libraire devient donc difficile et demande patience et un certain courage. Un propriétaire d'une petite librairie au centre-ville de Constantine nous le confirme : « Les ventes sont en chute libre depuis quelques années déjà, mais nous arrivons tant bien que mal à subsister dans un environnement de plus en plus hostile à la lecture. J'avoue, toutefois, que les jeunes étudiants sont nombreux à venir chercher un roman ou un livre sur l'histoire. Le problème c'est que nous avons toujours un souci avec les distributeurs qui ne viennent pas souvent. C'est toujours difficile de pouvoir satisfaire une clientèle qui est toujours à la recherche de nouveautés. Les éditeurs, d'Alger notamment, ne nous envoient pas leur dernier catalogue et, de ce fait, nous perdons beaucoup de clients. Pour combler nos pertes, nous sommes obligés de proposer des CD, des articles scolaires ou des jeux interactifs. Nos meilleures ventes restent les livres scolaires, les dictionnaires et quelques romans d'auteurs connus ». Raconte-moi le dernier livre que t'as lu... Les bibliothèques, quant à elles, font figure d'exception compte-tenu de la fréquentation assidue d'habitués, comme nous le confirme M. Djamel Foughali, directeur de la culture de la wilaya : « La libraire mobile a eu un grand succès, notamment auprès des jeunes. Nous aurons, dès le mois de janvier prochain, un nouveau programme comprenant en tout 10.000 livres. Elle passera par toutes les communes en plus des grandes cités de Constantine comme Ali Mendjeli et Bekira. Nous avons aussi attribué aux 12 communes de la wilaya plus de 200.000 livres depuis 2010, dont 40.000 ont été attribués à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'indépendance. Quant à la nouvelle bibliothèque centrale située prés de la cité Boussouf, elle sera ouverte d'ici janvier avec ses 1.000 places et un espace de trois étages. Je voudrais juste ajouter que la ministre de la Culture, Khalida Toumi, a promis qu'une fois le palais des expositions réceptionné en 2015, le premier événement qui sera organisé est la tenue d'un salon méditerranéen du livre. » M. Foughali nous a également révélé qu'à l'occasion de la réception du palais des expositions en 2015, projet phare et structurant pour l'année de la culture arabe à Constantine, des espaces de lectures seront aménagés à l'intérieur de l'édifice. Le directeur de la culture déborde d'enthousiasme lorsque nous lui posons la question sur l'état de la lecture dans la ville des Ponts. Sans hésitation, il répond : « Après trois années d'existence du festival « Lire en fête », nous avons constaté que les gens lisent de plus en plus, mais je dis que c'est aux parents d'inciter leurs enfants à lire. La lecture existe malgré internet et la télévision. Le salon du livre que nous avons tenu cette année au palais de la culture Malek- Haddad a été une réussite, et c'est pourquoi il sera reconduit en 2014. » Pour le directeur, ce salon fut un succès. Pourtant, les organisateurs ont été très déçus par le nombre des visiteurs « faible, voire insignifiant par rapport aux salons de Tlemcen, d'Alger ou de Sétif » nous avaient déclaré des responsables de l'ENAG qui regrettaient aussi l'absence de communication autour d'un tel évènement. Le temps du plagiat L'institut français reste tout même la bibliothèque la plus fréquentée de la ville, au vu des nombreux abonnés, 1.550, selon les chiffres que nous avons obtenus auprès de la direction. Un succès qui ne se dément pas. Les étudiants en médecine, en langues étrangères ou en biologie sont les premiers clients de l'IFC. Chaque jour, l'institut enregistre une fréquentation moyenne de 233 adhérents venus la plupart pour étudier ou consulter les livres que propose la médiathèque : « Nous recherchons surtout les livres de médecine que nous ne trouvons pas ailleurs. La médiathèque de l'IF nous rassemble aussi pour les révisions » nous explique un jeune qui fait des études en médecine. Une étudiante qui prépare son master en littérature française nous avoue, quant à elle, que son inscription à l'IF est devenue une nécessité pour pouvoir consulter les livres disponibles sur place. « Je travaille sur la littérature algérienne et nous disposons ici de romans qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Les librairies qui existent à Constantine manquent de romans et d'essais critiques sur la littérature. Je lis des romans depuis que j'ai commencé ma licence en français, ça a commencé avec les enseignants qui nous poussaient à lire des romans, des poèmes ou des nouvelles. J'avoue que nous étions seulement trois ou quatre dans mon groupe à lire régulièrement des livres, la plupart des étudiants ne s'intéressent pas à la lecture, j'en connais même qui sont en master et qui n'ont jamais lu un seul roman. » Une enseignante de littérature française à l'université Constantine 1 nous confirme cette tendance. Pour elle, les étudiants sont de moins en moins attirés par les livres. « Nous ne pouvons pas obliger les étudiants à lire. Autrefois, on les obligeait à nous rendre un résumé ou une fiche de lecture d'un roman. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Avec internet, il est devenu trop facile de plagier des résumés qu'on trouve facilement sur google. Ce que nous essayons de faire c'est de les inciter à aimer à la lecture, de leur parler des grands auteurs et d'attirer leur attention. Beaucoup ne savent pas ce que c'est qu'un roman. Le drame, c'est, à mon avis, l'école algérienne qui ne leur a pas appris à lire. » Pour Osman Chaggou, enseignant à l'ENS et à l'institut français, il y a pourtant des solutions. « A l'institut français, nos apprenants font de la lecture à travers des tâches et des exercices. Ce sont des outils pédagogiques pour les inciter à lire mais surtout à aimer la lecture. Ils lisent des interventions, des passages de roman ou des nouvelles pour faire ensuite des débats. A l'ENS, nous formons de futurs enseignants et, forcément, c'est dramatique que certains ne s'intéressent pas à la lecture. Durant les cours, je leur propose des photocopies de nouvelles, de contes ou de poèmes dans lesquels je fais exprès de retirer la chute du récit. Je leur donne une semaine pour qu'ils proposent ou imaginent la fin de l'histoire, en quelque sorte le récit les intrigue et ils aimeraient connaître la chute. Je les pousse donc à s'intéresser à la lecture. Aussi nous les encourageons à regarder des séries télé avec des sous-titrages en français, c'est un bon exercice. » Lycées : désormais, la lecture est une matière comme les autres ! Un enseignant de français dans un lycée du centre-ville de Constantine nous a révélé que le ministère de l'Education nationale s'apprête à lancer une nouvelle réforme à partir du deuxième trimestre de l'année en cours. Ainsi, la lecture sera obligatoire et introduite le trimestre prochain en tant que matière à part entière « mais nous n'avons aucune idée sur le contenu ni sur la préparation des cours. On dit que les élèves doivent lire trois livres par an. Si c'est le cas, c'est une bonne chose, à condition que cela ne les encombre pas trop. Cette initiative va permettre, je l'espère, d'obliger les élèves à fournir des efforts car ils ne lisent pas, c'est un fait. A quelques exceptions, certains lisent à titre individuel. Je me souviens l'an dernier d'un élève en classe mathématique qui lisait Paolo Coelho, il était le seul de son groupe. » Nouvelle loi sur le marché du livre : l'appréhension des éditeurs Le projet de loi relatif aux activités et au marché du livre, adopté par le Conseil des ministres le 29 septembre dernier, ne fait pas l'unanimité ou du moins semble contenir des indications vagues et contradictoires selon les professionnels du livre. Les éditeurs sont sans doute les premiers à se plaindre de certains articles. Meriem Merdaci, directrice de la maison d'édition les Champ Libres, nous parle d'abord des difficultés rencontrées par les éditeurs. « Le distributeur prend 56% du prix, le libraire 30%, l'auteur entre 10 et 15 %, la TVA 7 % (une baisse) en plus de l'infographe et de l'imprimeur. Nous travaillons à perte et certains éditeurs sont obligés de gonfler les prix. Nous tenons grâce aux commandes, car je constate que depuis 2008, date à laquelle la maison d'édition a été créée, les ventes sont en chute. » Une profession difficile qui lutte aussi contre la concurrence déloyale des importateurs, le recul de la lecture n'arrange bien évidemment pas les affaires des éditeurs qui appréhendent naturellement les nouveaux textes de loi relatifs au livre : « Pour l'heure, nous prenons en charge la distribution des livres uniquement sur Alger et Constantine. Mais c'est inquiétant parce qu'avec la nouvelle loi, la distribution va se restreindre à quelques wilayas, nous attendons donc les projets des nouvelles bibliothèques. C'est une bonne chose qu'une nouvelle loi régularise et restructure le métier mais dans ce cas n'aurait-il pas fallu faire appel aux professionnels et aux concernés eux-mêmes ? Certains articles sont à revoir, comme par exemple sur l'éditeur qui devient importateur s'il veut acquérir les droits d'auteurs étrangers. » Un autre éditeur, qui a préféré gardé l'anonymat, nous a expliqué que ce qui regrettable c'est que le principe du prix unique du livre soit adopté alors même que le secteur de la distribution est soumis à des obligations qui tendent à limiter sa fonction. Quant à l'autorisation que doivent délivrer les libraires à chaque vente dédicace, notre interlocuteur ajoute que c'est une aberration qui risque tout simplement de compromettre cette activité essentielle aussi bien pour le libraire que pour l'auteur qui vient à la rencontre de son public. Commander son livre par internet, c'est possible grâce à Kitabi.dz En Europe, le livre connaît de grands chamboulements. A commencer par l'avènement des nouvelles technologies qui fait que le livre est en train d'avoir un nouveau support numérique grâce aux liseuses et autres tablettes qui inondent les marchés. Mais la vraie révolution c'est bien la vente en ligne des livres, par le biais de sites spécialisés. Le numéro un est le géant américain Amazon qui a bouleversé le secteur de la distribution et est considéré aujourd'hui comme l'ennemi des libraires. En Algérie, la concurrence d'internet est faible en raison, notamment, de l'absence d'un système de payement électronique, mais les professionnels s'accordent à dire qu'à moyen terme, l'avenir du commerce en Algérie sera internet. Certaines personnes l'ont déjà compris et ont lancé des sites de vente par internet, comme Ouedkniss et, depuis avril 2013, un site dédié entièrement au livre propose ses services et repose pour l'instant sur l'ingéniosité d'un procédé qui permet de vendre des livres sans passer par le payement électronique. Il s'agit du site Kitabi.dz qui propose des centaines d'ouvrages (des romans, des essais sur l'histoire ou la sociologie, des livres de jeunesse, des ouvrages universitaires, BD...) En effet, ce site entièrement dédié à la vente par internet offre un catalogue de livres et dès qu'il passe une commande, le client fait le payement par un virement direct sur le compte de la société puis il le récupère par le biais des points de relais implantés dans plusieurs wilayas. Mlle Amel Benamara, responsable du volet commercial du site nous explique que depuis le lancement de kitabi.dz par son entreprise Algérie Cyber Markek – qui a également lancé un autre site de vente nechrifenet.dz - il y a eu environ une cinquantaine de commandes. Elle nous signale aussi que les éditeurs sont les principaux fournisseurs du site, alors que les clients sont principalement des particuliers en plus des écoles privées qui cherchent des ouvrages bien précis. Mlle Benamara nous signale enfin que son entreprise attend avec impatience le développement du e-paiement ou le payement électronique, qui permettra de développer le e-commerce et surtout d'éviter aux clients les déplacements.