Plus de 50.000.000 de Turcs se rendront aujourd'hui aux urnes pour se prononcer par «oui» ou par «non» aux 26 amendements constitutionnels votés en mai dernier au Parlement. Dans ses grandes lignes, le texte proposé vise à réduire l'influence de l'armée et de la justice, les deux plus farouches adversaires du parti du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2002. Coïncidence, hasard du calendrier ou calcul politique, ce référendum qui divise le pays de Mustapha Atatürk, se tiendra aujourd'hui, 12 septembre, soit le jour marquant le 30e anniversaire du coup d'Etat militaire de 1980 qui a mis fin à des années de quasi-guerre civile entre extrême-gauche et extrême-droite. «D'un côté, nous avons la Constitution de 1982, celle du coup d'Etat, de l'autre, la Constitution du peuple», répétait inlassablement, durant la campagne électorale, Recep Tayyip Erdogan qui ne désespère pas de transformer, à 10 mois des législatives, ce scrutin en un plébiscite pour son AKP, parti de la justice et du développement, aux commandes depuis huit ans. Parmi les changements proposés à ce texte qui régit la vie politique turque et accorde à l'armée via le MGK (Conseil de sécurité nationale) un droit de regard sur la marche du pays, le renforcement du pouvoir de négociation collective sur les salaires pour les fonctionnaires, l'amélioration de la protection des droits des femmes et des enfants et la redéfinition en profondeur les rapports entre pouvoirs politique et judiciaire. Notamment une augmentation du pouvoir des tribunaux civils par rapport aux tribunaux militaires, la soumission de la dissolution des partis politiques au contrôle du Parlement et la possibilité d'ouvrir la voie au procès du chef d'état-major Kenan Evren et de ses subordonnés directs, auteurs du coup d'Etat de 1980. Désigné président, il prononça, avant de rendre le pouvoir aux civils trois ans plus tard, la dissolution du parlement, suspendit la Constitution, interpella 650.000 personnes, envoya devant les tribunaux militaires 230.000 Turcs et interdit les partis politiques. Soupçonné de vouloir mettre l'armée et les bastions du kémalisme au pas, l'AKP, qui a réussi à envoyer 102 suspects dont 25 généraux et amiraux d'active dans le cadre du complot dit «Ergenekon» (Opération de forge), s'en défend. Les amendements proposés vont permettre à la Turquie de se mettre en conformité avec les critères de l'Union européenne, répond le gouvernement d'Erdogan. L'opposition refuse de baisser les bras. Elle soupçonne l'AKP à augmenter la mainmise du politique sur le pouvoir juridique et à mettre à mal le principe de laïcité : les tribunaux sont les garants traditionnels du régime laïc fondé par en 1923 et un des piliers du système actuel. Si le «oui» l'emporte, le nombre de juges à la Cour constitutionnelle passerait de 11 à 17 (3 seront choisis par le Parlement et 14 par le président de la République). Le Conseil supérieur des juges et procureurs (institution qui supervise la magistrature turque) passerait quant à lui à 22 membres, contre 7 aujourd'hui. Quatre d'entre eux seraient nommés par le président. Accusant le gouvernement de chercher à islamiser en «douceur» la société turque, elle appelle à voter «non» au nom du respect de la séparation des pouvoirs. Selon les analystes, ce référendum bouleversera l'équilibre politique en Turquie. Un «oui» massif requinquerait l'AKP qui, après avoir remporté les élections générales en 2007 (46,6 % des voix), a manifesté des signes d'essoufflement lors des municipales de l'an dernier (39%) et éroderait les pouvoirs de l'armée, la gardienne autoproclamée de la laïcité, qui a déposé quatre gouvernements depuis 1960 et menacé en 2008 l'AKP de dissolution pour activités anti-laïques. Un «non» pourrait signifier l'organisation d'élections anticipées et la fin du rapprochement de la Turquie, un pays membre de l'Otan, de l'Iran et de ses voisins arabes.