La Libye s'installe dans le chaos. La dérive est significative de la déliquescence absolue des institutions de transition déficientes, supplantées par le règne sans partage des « seigneurs de la guerre » qui se partagent les zones d'influence tribales et régionales. A Benghazi, livrée à l'insécurité ambiante, cette situation kafkaïenne met en branle la guerre intestine qui oppose un ancien général à la retraite, Khalifa Haftar, et le mouvement islamiste d'Ansar Al-Chariaa, classé organisation terroriste. Au lendemain des combats qui ont fait 24 morts et 150 blessés, 43 morts selon un responsable de la santé cité par Reuters, plus de 200 morts selon certains médias, l'homme, qui se présente comme le chef de l'« armée nationale », reste déterminé « à purger Benghazi des terroristes ». « L'opération va continuer jusqu'à purger Benghazi des terroristes », dit-il à la chaîne de télévision Libya Awalan, qui le soutient. L'ancien officier qui a fait défection, au même titre que d'autres éléments de l'armée régulière, officiant en sa qualité de porte-parole, refuse d'assimiler à une « guerre civile », ce qu'il considère comme une « opération de l'armée contre les groupes terroristes ». Assurément, le coup de force de Haftar constitue un désaveu cinglant pour l'armée régulière traversée par des clivages aux graves conséquences sur son équilibre et son mode opératoire. Le message rassurant du chef d'état-major, Abdessalem Jadallah, réfutant toute implication dans les affrontements, tente de restaurer une crédibilité mise à mal par la bravade de l'ancien général à la retraite qualifié par le chef du gouvernement intérimaire, Abdallah Al-Theni, de « hors la loi ». Dans une déclaration à la télévision nationale, Jadallah a ainsi appelé « l'armée et les révolutionnaires à s'opposer à tout groupe qui tenterait de contrôler Benghazi par la force des armes ». Loin d'être inédite, la dérive de Benghazi s'interprète comme un ratage des autorités de transition, laminées, marquées au fer par la montée du mouvement islamiste hégémonique et incapables de mener la « guerre au terrorisme », en particulier dans l'Est libyen. De Derna, acquise aux « fidèles d'al Qaïda », à Benghazi pliant sous le joug d'Ansar Al-Chariaa, en passant par le nouveau sanctuaire du sud, la nouvelle Libye est l'otage des milices et des groupes terroristes qui restent la marque déposée de la transition en déficit de représentation gouvernementale déléguant son troisième Premier ministre en trois mois seulement, d'institution militaire jusque-là en phase de formation et souffrant de l'absence d'une constitution consensuelle pour l'avènement d'un Etat démocratique et libre promis par les apôtres du « printemps arabe » de destruction massive.