Le rétablissement effectif de la souveraineté de l'Etat algérien, au terme de près d'un siècle et demi d'occupation coloniale avec son lot de répressions à grande échelle et d'expropriations, a eu lieu au milieu d'affrontements. C'est au plus fort de la curée que s'était élevée le fameux slogan « sept ans barakat », injonction d'un peuple qui avait tellement souffert et cru en des lendemains radieux aux « belligérants » sommés de retrouver la voie de la raison. La joie qui avait salué l'indépendance fut magnifique mais de courte durée. La renaissance de l'Etat ne fut pas une simple et rapide transmission des pouvoirs par la puissance occupante à une autorité légitime. De nombreux historiens ont, depuis, évoqué ce qu'ils désignent comme étant « la crise de l'été 62 », deux mois d'une saison chaude qui virent le bras de fer entre l'état-major de l'ALN, à sa tête Houari Boumediene, et le GPRA, dirigé alors par Benyoucef Ben Khedda, prendre une dangereuse tournure. On a parlé de risque de « congolisation », avatar d'une guerre civile. De nombreux livres ont depuis paru en Algérie sur ce sujet à l'instar de celui d'Ali Haroun intitulé fort justement « L'été de la discorde ». C'est un témoignage de première main car l'homme était alors membre de l'instance délibérante de la révolution. C'est en cette qualité qu'il avait prit part à la session du CNRA à Tripoli de mai et juin 1962. C'est au cours de sa tenue que l'engrenage infernal s'était mis en place. Le sujet n'est plus tabou et fut l'objet de nombreuses recherches éditées en Algérie, à l'exemple du livre de Leila Benamar sur Ferhat Abbas, qui fut un des protagonistes de la crise, ou de celui de Belaïd Hadjem. L'événement trouve sa place aussi dans de nombreuses mémoires comme celles d'Ali Kafi, de Khaled Nezzar, Bouhara et plus récemment de l'ex-général Hocine Benmaalam. Schématiquement, deux visions s'affrontent. Pour les uns, l'état-major s'appuyant sur l'armée des frontières qui, depuis des années, stationnée au Maroc et en Tunisie, attendait son heure pour une prise du pouvoir. Tandis que les maquis de l'intérieur s'affaiblissaient sous les coups de boutoir de l'armée coloniale qui, à partir de 1959, lança des opérations de grande ampleur, ses bataillons affûtaient les armes. Plus que tout, pour ceux qui dénoncent le coup de force, c'est une atteinte à la légitimité qu'incarnait alors le GPRA. A leurs yeux, cette entorse au fonctionnement démocratique des institutions allait ouvrir la voie à tous les abus. Les contempteurs de cette thèse estiment par contre que le pays avait besoin d'une force organisée pour engager le pays sur la voie du développement. Il serait erroné de présenter cette crise comme étant un conflit entre tenants de la « démocratie » et de la « dictature ». Les conflits minaient les rangs des premiers bien avant que ne surgisse le conflit fratricide. Longtemps, les jeunes générations connaissaient peu des raisons et des évolutions de cette crise. Elle est aujourd'hui un épisode de l'histoire. De nombreux témoignages existent pour comprendre cette séquence de l'histoire. L'essentiel était la préservation de l'unité du peuple et du pays au terme d'une crise qui aurait pu dégénérer. Des hommes comme Ben Khedda, comme il l'explique dans « l'Algérie à l'indépendance. La crise de l'été 62 », ont préféré sacrifier une ambition de pouvoir à la pérennité de la nation. Les Algériens semblent avoir pris conscience de la nécessité de préserver l'Etat, eux qui ont, pour reprendre l'expression de Redha Malek, connu « l'amère existence d'une existence sans Etat ».