A-t-on suffisamment écrit sur la décennie noire, période marquée par tant de douleurs, d'amertume et d'horreur ? Farida Hamadou fait partie de cette génération d'hommes et de femmes qui furent désarmés et vulnérables, contenant leurs émotions durant ces années de terrorisme. Dans son livre paru aux éditions Média-Plus, Hamadou fouille dans la vie de deux femmes, Cilla et Dounia. Deux histoires aux destins opposés mais tragiques : Dounia mariée de force très jeune et qui par la suite fait une dépression, est internée à l'hôpital psychiatrique refusant son destin et la fatalité des événements. Elle tombera amoureuse de son médecin. Cilla est assassinée par ses élèves parce qu'elle ne portait pas le voile : « J'ai planté un rosier quatre saisons dans un grand bac, sur la terrasse. J'ai préparé mon cours. J'ai trouvé un mot dans la poche de ma veste. On me recommande de me voiler sous peine de mort. Je me sens triste pour ces grands garçons menaçants, aux joues glabres ». (p.34) L'auteur ne résume pas la vie des deux femmes en quelques mots. Avec finesse, elle décortique leurs émotions, leurs faiblesses, leurs amours. Il ne s'agit pas seulement de copier la réalité, mais de démontrer à travers ce récit à quel point les personnages ont été marqués par tant de haine, de souffrance et de frayeur. « C'est un ouvrage qui a dormi des années dans des tiroirs, je n'ai pas eu l'intention de le publier. J'écris pour moi avant toute chose. Comme tous les Algériens, de la décennie noire, j'ai beaucoup souffert parce que j'habitais un quartier chaud de Constantine. J'ai beaucoup pleuré aussi. J'ai vu des morts lorsque j'enseignais », a expliqué notre consœur lors d'une conférence-débat tenue récemment à l'institut français de Constantine. « Je me suis inspirée de la réalité » Dans cette œuvre, la chronologie est diffractée voire morcelée, comme dans le premier récit écrit sous forme de correspondances entre Cilla et son mari, un dialogue touchant qui raconte l'essentiel de sa vie. « J'ai innové de technique, sans vouloir être prétentieuse, j'ai appelé cette technique en tourbillon, ce n'est pas linéaire et, sans le savoir, j'ai imité l'écriture de la romancière anglaise Virginia Woolf que j'aime beaucoup. Pour moi, le livre est comme l'art pictural ou la musique, on n'a pas le droit de le composer n'importe comment », lance-t-elle. L'ouvrage s'avère à la fois poétique et réaliste. Il nous transpose dans un monde sombre et sans pitié, mais où se tissent des liens entre les hommes et les femmes. Les deux héroïnes sont assez lucides et fortes malgré tout. « Je me suis prise d'affection pour mes personnages. La première histoire est tirée de faits réels. J'ai lu ce fait divers rapporté par la presse et, tout de suite, j'ai été émue par le triste sort réservé à cette pauvre femme originaire d'une ville de l'ouest du pays. Dans ce récit, je l'ai appelée Cilla et j'ai imaginé qu'elle a connu le grand amour avec son homme. J'ai été influencée par la philosophie d'Ibn El Arabi et son interprétation de l'Islam qui est une religion de paix. Quant au deuxième récit, j'avoue que je me suis inspirée aussi de la réalité, j'ai eu à visiter l'hôpital psychiatrique de Constantine, où j'ai vu des horreurs, la détresse des malades et une prise en charge sans aucune dignité », explique l'auteure. Quant au choix du titre, Farida Hamadou, ancienne enseignante dans un lycée puis journaliste, le décompose ainsi : « Chacun d'entre nous a une légende à vivre, elle peut être triste, heureuse ou même inachevée. »