L'« Europe forteresse » inquiète. Elle vit, dans la Mare Nostrum, du drame humanitaire incommensurable des clandestins, une dérive et une perversion de ses valeurs fondamentales. Des morts, en naufragés du nouvel ordre mondial, alourdissent le bilan de la « passivité coupable ». Dans un rapport très critique, l'organisation Amnesty International a dénoncé « l'Europe qui regarde ailleurs » pour mieux occulter une réalité tragique. Le bilan de 2.500 morts, enregistré depuis le début de l'année, est suffisamment éloquent pour décréter la mobilisation générale des victimes des guerres néo-coloniales rêvant de l'eldorado imaginaire. Des victimes qui, selon l'Organisation internationale pour les migrations, ont dépassé le double du pic de 2001, censé inaugurer l'ère du « printemps arabe » des promesses de changement transformées en enfer invivable. Il est donc patent que la responsabilité européenne des damnés du « printemps arabe », notamment libyen, impose un devoir de solidarité. « L'Europe ne peut pas rester indifférente au drame qui se déroule à sa porte », a affirmé John Daluissen, responsable du programme Europe et Asie centrale d'Amnesty International. « Ce que l'UE et ses pays membres doivent fournir d'urgence, c'est un nombre accru de navires de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale, munis d'un mandat clair de sauvetage de vies humaines en haute mer et des ressources nécessaires à cet effet », a-t-il souligné. Si le plan Mare Nostrum, initié par l'Italie, a suscité un élan d'espoir, son remplacement par une nouvelle opération, baptisée Triton, décidée par la Commission européenne, ne fait pas l'unanimité. « Si l'opération Mare Nostrum devait prendre fin sans être correctement remplacée, les atermoiements et les différends sur les opérations de recherche et de sauvetage risquent de mettre de nouveau des vies en péril », a averti Daluissen, évoquant les mesures de dissuasions européennes à effet contraire. « Les Etats de l'UE ne peuvent pas les orienter vers les itinéraires maritimes les plus dangereux du monde pour ensuite les abandonner à leur sort ». Dès lors, Triton, conçu pour être « un complément, pas une substitution pour Mare Nostrum », sera lancé en novembre prochain, sous le contrôle de Frontex, l'agence de surveillance des frontières de l'UE. Mais elle est confortée à un handicap sérieux : son efficacité reste tributaire de la décision de participer ou non qui appartient aux Etats membres.