Trois jours après le renversement de Blaise Compaoré, interprété par la veuve Miriam Sankara comme une réhabilitation de son mari Thomas Sankara, victime d'un coup d'Etat sanglant, l'armée ne veut pas lâcher prise. Elle s'impose par la force en chassant à coups de gaz lacrymogènes et de tirs de sommation les milliers de manifestants rassemblés sur la place de la Nation, baptisée « place de la Révolution », à l'appel de l'opposition et des organisations de la société civile décidées de s'opposer à la confiscation du pouvoir. Au mépris de la Constitution, du reste suspendue aux premières heures de la prise du pouvoir, qui prévoit que le président de l'Assemblée nationale assure l'intérim en cas de vacance du pouvoir, le coup de force sonne comme un défi lancé contre la volonté du peuple burkinabé de décider de son destin et la position sans faille de la communauté internationale acquise à une transition aux mains des civils. Quelques heures seulement plus tôt, Washington, qui a clairement condamné « la tentative de l'armée burkinabaise d'imposer sa volonté au peuple », a appelé à « transmettre immédiatement le pouvoir aux autorités civiles ». Par-delà la neutralité gênée de Paris, l'Europe a fondamentalement plaidé la nécessité d'une transition démocratique apaisée, menée par des « autorités transitoires civiles et aboutissant à la tenue d'élections démocratiques, inclusives et transparentes dans les meilleurs délais ». Dans un communiqué, l'Union européenne considère qu'« un tel processus offrirait les meilleurs gages pour répondre aux aspirations légitimes du peuple burkinabé, de même que pour le maintien des relations internationales normales du pays et la poursuite des efforts de développement et de coopération en cours ». Elle se déclare prête à contribuer au lancement de ce processus, en appui avec la mission commune UA-Cédéao-ONU. La médiation tripartite a déjà évoqué la menace de « sanctions » réitérée par l'émissaire de l'ONU pour l'Afrique de l'Ouest, Mohamed Ibn Chambas, attachée à promouvoir « une transition conduite par un civil, conforme à l'ordre constitutionnel ». De son côté, le président ghanéen John Dramani Mahama, qui dirige actuellement la Cédéao, a appelé « au dialogue » et à la retenue pour éviter que « la situation déjà précaire » ne dégénère. L'Afrique fait front contre le retour des vieux démons. En première ligne dans une crise qui l'interpelle au plus haut point dans l'épreuve décisive de la démocratisation, l'Union africaine, qui a convoqué, hier, et en urgence, le Conseil pour la paix et la sécurité, a validé l'option d'une transition civile, inclusive et consensuelle défendue par la présidente de la Commission, Nkosazana Dlamini-Zuma. Pris en étau, le nouvel homme fort, le lieutenant-colonel Issac Zida, veut rassurer. Il a multiplié les contacts avec l'opposition, reçue dans l'après-midi de dimanche dernier, et les représentants du corps diplomatique au siège du ministère des Affaires étrangères. La proposition d'une transition concertée « dans un cadre constitutionnel » a été avancée au terme d'une discussion d'une heure avec l'opposition en conclave, en milieu de journée d'hier, au siège du parti de leur chef de file, Zephirin Diabré. Un compromis se dessine. Aux diplomates, il a assuré « dans le plus bref délai », la mise en place d'un « pouvoir exécutif » qui sera conduit par un organe de transition dirigé par une personnalité consensuelle désignée par tous les acteurs de la vie nationale.