Une seule de ses chansons, « A yemma azizen Uratsru » (Chère mère, ne pleure pas) émerge de son répertoire. Elle brille comme une étoile étincelante dans une nuit opaque. Elle a immortalisé le dialogue entre une mère, symbole de la patrie, et d'un djoundi qui se bat pour elle dans la montagne, à une époque proche et lointaine à la fois. Elle prend place dans tout coffret immortalisant les chants de l'Algérie en guerre. Farid Ali (1919 – 1981) avait excellé dans le genre de la chanson patriotique. Si ses chants n'ont plus la même résonance et pour d'aucuns la même importance, il faut penser au contexte où ils furent composés. À cette époque où « sacrifier son âme pour l'Algérie », comme il le proclamait, n'était pas une simple figure de style et une fanfaronnade. Il utilisait la chanson pour mobiliser, affermir la volonté et l'engagement des siens pour bouter dehors la France coloniale. « Là où « França » est passée, on a trouvé une trace de sang. Dans la lutte, ressemble à tes frères. Main dans la main, enlevez la gâchette rouillée. » Sur des musiques parfois tristes, il déclamait des hymnes, proférait des slogans. Il y avait peu de place pour les thèmes intimistes pourtant très en vogue alors. A peine s'il pleura sur sa malchance « Ulac Azhar Ulac » et interpréta une ou deux chansons d'amour. Si son répertoire composé d'une quarantaine de chansons est en kabyle, la Sacem a répertorié quelques chansons en arabe dont « Ghnaya Halwa ». Paroles vibrantes, chargées de colère et testament d'un artiste dont la famille a payé un lourd tribut pour la révolution. Deux de ses frères (Kaci et Mohamed) et un demi-frère ( Guired Belkacem) furent tués et le village Ikhelfounene, entre Boghni et Draa El Mizan, là où il est né, a été martyrisé. Les maisons furent bombardées et détruites. « A yemma » est plus connue que les noms, le vrai et le faux de l'artiste. Elle a été reprise et chantée par des troupes de la lointaine Asie et la version qu'en fit Matoub Lounés, dans un duo avec Nouara, prolongea son écho que les années n'avaient pas altéré. Elle figure parmi les chants les plus interprétés par les chorales. Farid Ali, qui s'appelle en réalité Khelifi Ali, contrairement à des artistes de sa génération, n'a pas beaucoup chanté. Même si, au milieu des années 50, dans les milieux de l'émigration, il avait côtoyé des compositeurs comme Iguerbouchene ou le Tunisien El Djamoussi. En animant une émission à l'ORTF, il était en contact avec beaucoup de chanteurs en exil. Membre de la troupe artistique du FLN avec laquelle il s'est produit dans de nombreux pays, la chanson était pour lui davantage une arme », nous confie son fils Arezki. « Je ne l'avais pas vraiment connu, sauf durant les première années de l'indépendance, où il est revenu gérer un restaurant près de la rue Ben M'hidi à Alger ». Il repart en France, après un séjour de dix-huit mois en prison ayant été mêlé de près aux activités du FFS alors interdit. Il ne rentrera d'exil qu'au milieu des années 70. Nul article ou émission n'évoquera son rôle dans la troupe artistique du FLN. Une association à ressusciter Aujourd'hui, son fils s'est engagé dans un travail de préservation de la mémoire de son père. Certes, celui-ci a été déjà honoré d'une mémorable manifestation à la maison de la culture de Tizi Ouzou en présence de ceux qui l'ont connu. Son fils est déjà intervenu dans plusieurs médias. En collaboration avec des étudiants, catégorie que son père appréciait particulièrement, il veut créer, dans premier temps, une association avec un rayonnement maghrébin. Il envisage de mieux faire connaître son parcours, ressusciter un peu la mission d'une association qui portait son nom mais qui a cessé d'exister. « Ma demi-sœur est établie près de Nabeul, en Tunisie, et ma nièce joue du violon, elles doivent connaître cet homme méconnu même dans sa propre famille ». « J'ai pour projet de créer un espace de contact et de rencontres qui prolongera le travail que mène le comité culturel qui porte le nom de l'artiste. » Il est déjà invité à une manifestation qui aura lieu en Sicile à partir du 15 décembre prochain où une troupe folklorique présentera des facettes du folklore berbère nous a-t-il confié. Ses petits-enfants découvrent peu à peu l'homme. L'un d'entre eux, exilé en Angleterre, est tout fier de décorer son portable avec le portrait de son grand-père. En attendant la réalisation de tous ces projets, il se dit satisfait de la décision de l'APW de Tizi Ouzou qui érigera une stèle à ce chanteur qui avait milité toute sa vie pour la liberté des siens.