Dans cet entretien, le professeur en médecine légale, au CHU de Béni Messous, Dalila Laidaoui, insiste sur le renforcement, au niveau des services des urgences, de centres d'accueil, d'écoute et de prise en charge psychologique des victimes de violence. Le praticien explique, également, que le certificat délivré par le médecin légiste sert surtout à la victime pour « sanctionner » le mari, sans pour autant nuire à son foyer. En tant que médecin légiste, comment définir la violence à l'égard de la femme ? Il faut savoir que la violence est un problème de santé publique. La nature des violences que nous rencontrons au sein de notre service, lors des consultations médico-judiciaires, est à types physique, psychologique et sexuelle. La violence contre la femme est une violation des droits de la personne humaine. Les femmes qui arrivent au pavillon des urgences présentent, généralement, des hématomes, des hémorragies conjonctives et, souvent, un traumatisme facial. Elles bénéficient alors d'un premier soin aux urgences avant qu'elles ne soient orientées vers le médecin légiste. Quel est le rôle du médecin légiste ? Le médecin légiste délivre le premier certificat suite à une consultation médico-judiciaire. La victime est libre de son usage. Généralement, elle va se servir de ce document au cas où le mari entamerait une action de divorce et cela pour préserver ses droits, ou bien elle porte plainte contre lui, mais à condition qu'il n'y ait pas de conséquences sur le foyer familial. Elle veut, seulement, par voie judiciaire, le faire condamner soit par une amende ou un avertissement. Pour ce qui est du rôle du médecin légiste, il consiste à prodiguer des soins à la victime et ensuite à établir un certificat médical. Son rôle est de fixer une incapacité totale de travail (ITT) pour les victimes, qu'elles soient femmes au foyer, travailleuses ou universitaires. La violence touche donc toutes les catégories socioprofessionnelles... En 2003 et 2012, j'ai collaboré avec l'Institut national de la santé publique (INSP) à une enquête sur la violence à l'égard des femmes. Celle-ci a touché cinq wilayas, à savoir Alger, Oran, El Oued, Médéa et Blida. Cette enquête a fait ressortir que la violence touche toutes les catégories socioprofessionnelles. Les victimes sont généralement âgées entre 35 et 45 ans, elles ont un niveau d'instruction moyen mais on a eu à consulter des universitaires qui gardent le certificat d'incapacité totale de travail mais ne déposent pas plainte. Elles ont soit peur des représailles vu leur statut professionnel, ou refusent le statut de « divorcée » qui peut, selon elles, leur porter préjudice. Selon l'étude de l'INPS, 1.632 cas de violence ont été recensés en une année à travers cinq wilayas seulement. L'agresseur était, dans la majorité des cas, le mari. Quelles ont été les conclusions de cette enquête ? On a recommandé la formation des différents intervenants, à savoir les médecins, les psychologues, les psychiatres, les policiers, les gendarmes et la justice. On a, également, mis en exergue la nécessité d'améliorer les centres d'accueil des victimes à travers des structures spécialisées parce qu'on a tendance à banaliser la violence dans les pavillons des urgences. Les victimes ont besoin d'écoute et d'orientation, ce qui nécessite la présence de psychologues dans les services des urgences des hôpitaux. Il faut améliorer l'accueil parce que, généralement, la femme battue, quand elle se rend au commissariat, est ramenée chez elle en l'absence d'un centre d'accueil. Mais j'insiste sur la révision de la législation concernant, essentiellement, la femme battue. Avez-vous pu situer les causes de la violence conjugale ? La cause est généralement l'argent, notamment lorsque le mari est chômeur, l'alcoolisme, la toxicomanie ou les deux à la fois. Avez-vous constaté une progression de la violence ? J'ai eu à consulter 4 cas par jour et j'estime que c'est beaucoup. Quels sont les types de violence les plus constatés ? La violence physique est très fréquente. Il s'agit de plaies et blessures causées par des objets contondants ou par des coups de poing. J'ai constaté même des plaies sur le corps de la victime causées par des boucles de ceintures et, très rarement, j'ai retrouvé des traces de brûlures de cigarette. Il y a également les troubles psychiques. Dans ce cas, l'incapacité totale temporaire est très difficile à constater par le médecin légiste, parce que la blessure n'est pas visible. Comment donc évaluer ces troubles psychologiques ? Ici, l'apport du psychologue est important. Généralement, il s'agit de femme répudiée ou menacée de divorce par son mari. Ce qui provoque des troubles psychologiques chez elles. Qu'en est-il de la violence sexuelle au sein du couple ? On constate de plus en plus de cas de violence liés à la sexualité au sein des couples. Des violences causées par des troubles sexuels. La femme, l'épouse, est victime de coups à cause de son refus de rapports sexuels contre nature. C'est devenu un phénomène très inquiétant. Y a-t-il un profil de femmes victimes de violence ? Généralement, la femme battue est une femme en détresse. Mais on eu à traiter des victimes qui sont universitaires et ont un fort caractère. Elles n'acceptent pas d'être soumises et revendiquent leurs droits, alors elles sont battues. Mais il n'existe pas un profil spécifique de la femme victime de violence. Généralement, quand on parle de médecine légale, on pense davantage aux autopsies. Avez-vous constaté des cas de décès ? Durant ma carrière hospitalo-médicale, depuis 2004, au niveau du service de médecine légale au CHU de Béni Messous, j'ai constaté 4 cas de décès de femmes suite à des violences. Elles ont été mortellement blessées par des instruments tranchants. Il s'agit d'une jeune femme de 28 ans qui avait reçu 40 coups de couteau avant son égorgement. L'auteur était son petit ami. Il y a aussi le cas de cette femme de 70 ans, dont le mari était suivi pour des troubles psychiatriques. Il l'a assassinée alors qu'elle était hospitalisée au service de neurologie au CHU de Ben Aknoun. Malheureusement, les auteurs de ces violences ne sont pas soumis à l'examen du médecin légiste. On reproche au médecin légiste de délivrer des certificats qui ne permettent pas de condamner sévèrement l'auteur de violence, notamment le mari. C'est-à-dire que l'incapacité totale de travail ne dépasse pas généralement les 3 jours... On fixe l'incapacité totale de travail en fonction des blessures. On ne peut pas faire du social. Il y a un volet psychologique dans notre action et on lui accorde une grande importance. On oriente la victime vers le psychologue pour une prise en charge et un suivi. Le CHU de Béni Messous a recruté deux psychologues pour le suivi en permanence des victimes de violences, notamment les femmes battues.