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Au nom de mon frère
Abbès Laghrour, le bras droit de Ben Boulaid, avait connu un sort tragique
Publié dans Horizons le 25 - 11 - 2014

Longtemps réduite à une glorification des grands martyrs de la Révolution ou à la célébration de la résistance populaire, l'histoire, à la faveur de la libération de la parole, dévoile aussi, de plus en plus, des pans jusque-là méconnus de cette période qui a infléchi le destin de l'Algérie. Il ne s'agit nullement de remettre en cause un combat qui a brisé les chaînes du peuple algérien, de réduire son histoire aux erreurs qui ont emaillé la glorieuse de Novembre. Pourtant, si une mémoire vive peut s'accommoder d'occultation, l'histoire se nourrit même des événements tragiques. Les circonstances de l'assassinat de Abane Ramdane, la bleuite, le différend entre l'état-major général et le GPRA à la veille de l'indépendance ont déjà suscité l'édition de nombreux livres, dont la plupart sont des mémoires d'acteurs, ayant vécu, de près ou de loin, les événements. C'est à une autre « affaire » que s'intéresse Salah Laghrour dans son livre* qui vient de paraître. L'auteur est le jeune frère de Abbas Laghrour, qui au déclenchement de la révolution était à Khenchela, sa région natale, « le bras droit » de Mustapha Benboulaïd. Ce baroudeur connaitra pourtant un tragique sort puisqu'il sera jugé et condamné par le CCE constitué après le congrès de la Soummam au printemps 1957 après qu'il fut emprisonné en Tunisie. Sa dépouille sera rapatriée, comme celle de Abane ou de ses compagnons condamnés par le même tribunal dans les années 1980, pour être enterrée à El Alia.
Procès en règle
Le livre n'est pas une biographie au sens classique même si en évoquant la famille, l'enfance du militant, sa scolarité, ses amis et ses activités professionnels y ressemblent beaucoup. De nombreuses photos sont également insérées et donnent un « visage » à celui dont on connaissait seulement le nom porté par des lycées, des collèges et des rues. L'ouvrage se veut surtout un procès en règle de ceux qui ont condamné un homme qui s'était très tôt engagé pour la libération de son pays. Les hommes du CCE dépêchés en Tunisie, notamment Ouamrane, ne trouvent pas grâce aux yeux de l'auteur. C'est aussi une immersion dans l'histoire de la Wilaya 1, les Aurès Nememchas qui après avoir été le berceau de la révolution ont sombré, dès 1956, dans des luttes intestines. Le successeur de Benboulaïd, Chihani Bachir avait été assassiné et Adjel Adjoul, son autre bras droit, s'est rendu aux forces coloniales. Cela avait conduit le congrès de la Soummam à y dépêcher en octobre 1956 le colonel Amirouche pour « y mettre de l'ordre et rétablir la discipline ». L'auteur ne s'attarde pas trop sur la nature et les raisons de l'émergence des conflits de nature tribale. Il juge toutefois sévèrement la mission d'Amirouche qui, selon lui, « a manqué probablement de diplomatie et d'habileté (p. 185). Il aurait, en penchant pour une partie au détriment d'autres, aggravé en quelque sorte la fracture et favorisé les identifications régionales. S'appuyant sur de nombreux écrits de militaires français, qui ont reconnu le courage et la bravoure de Laghrour, qui a dirigé de grandes batailles de l'ALN en 1955 et 1956, et aussi d'historiens et témoins algériens, il brosse le portrait de son frère condamné « injustement ». Il assume et revendique les griefs de ceux qui, comme Ben Bella et Mahsas, se sont opposés au congrès de la Soummam assimilé à une sorte de « coup d'Etat » contre la légitimité des pionniers de la révolution. Il évoque le détournement de l'avion d'octobre 1956, y voyant une sorte de coup de pouce aux dirigeants qui récusaient l'ingérence du Caire pour tomber dans les bras de Bourguiba. Toutefois, s'il peut soutenir que le tribunal du CCE n'est peut-être pas légitime pour juger des faits antérieurs à sa constitution (l'assassinat de Chihani que Abbas Laghrour a revendiqué), ne retenir comme paramètre que « l'ancienneté » dans le combat pourrait s'avérer fallacieux. L'idéal de l'unité maghrébine auquel était attaché Abbas Laghrour au point de figurer dans l'ALM (Armée de libération du Maghreb,) dont quelques péripéties sont évoquées, n'a pas disparu. Il restera vivant jusqu'à la fin de la guerre et le CCE connaitra bien des déboires avec Bourguiba. Salah Laghrour cite un proverbe selon lequel « le mérite revient à ceux qui commencent même si les suivants font mieux ». Pourtant, Ferhat Abbas, dont il cite les ouvrages pour charger les hommes de la Soummam n'était pas un homme du Premier Novembre. Combien d'hommes, à l'instar de Messali qui, après avoir porté à bout de bras le mouvement nationaliste, ont failli au moment des choix décisifs ? Le livre foisonne d'informations autant sur l'itinéraire du martyr, la vie politique et sociale à Khenchela peu avant la révolution et le déroulement de la guerre dans la région des Aurès. Il nous restitue aussi un des épisodes les plus sombres de la guerre de libération. Il ne s'agit pas de régler des comptes, mais, conclut l'auteur, « quelles que soient les raisons de ces éliminations, généralement pas pour des raisons de collaboration ou de connivence avec l'ennemi, de faire retrouver à ces hommes leur place dans l'Histoire ».
Salah Laghrour « Abbès Laghrour, du militantisme au combat » Chihab Editions 275 pages 1.000 DA


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