1ère partie Dans cette bataille d'hommes permettez l'intrusion d'une femme car n'oubliez pas que la transmission du malheur autant que du bonheur s'opère par les femmes. P remièrement, je ne sers aucune chapelle, ni mosquée, aucun groupe d'intérêts et n'obéis à aucun conseiller ou rédacteur, seul le militantisme de terrain me commande, aucune autre motivation ne m'anime. Deuxièmement, je ne me permettrai pas de porter des jugements sur qui que ce soit car mes compétences historiques sont le fruit d'une mémoire forgée pendant la Révolution et d'une bibliothèque composée de différentes sources qui me permettent de savoir que l'objectivité n'existe pas puisque les documents d'archives et les ouvrages d'histoire sont eux-mêmes rédigés selon la subjectivité de leur auteur ou de son commanditaire. Deux exemples tirés du livre de l'historien Gilbert Meynier, pourtant réputé neutre, nous interpellent par leurs affirmations erronées: en page 197 l'auteur écrit «dans l'été 1957, le chef Nemouchi Abbas Laghrour tenta d'éliminer en même temps ses rivaux et vraisemblablement aussi Mahsas lui-même » dans les réponses adressées au général-major Benmalem le lecteur trouvera des précisions sur Abbas Laghrour. Idem en page 199 où l'historien soutient que: «au cours du procès de Téboursouk Il y eut en effet 17 condamnations à mort, dont 2 par contumace Mahsas et Omar Ben Boulaïd réfugié en Italie et 15 exécutions. Sur les condamnés à mort, 5 ou 6 étaient des anti-Soummam conscients. Les autres étaient indifférents ou ignorants: Omar Ben Boulaïd n'avait pas été hostile au congrès et Laghrour Abbas, dans une prison tunisienne, depuis 1956 avait à peine entendu parler des résolutions de la Soummam». D'autres historiens et auteurs algériens ayant enquêté sur le terrain, auprès d'anciens combattants aurèsiens, déconstruisent ces affirmations. Il faut se méfier de ne pas être atteint du syndrome des «intellocrates» actuels: Last but not least, qui croient surtout en eux-mêmes comme garants ultimes d'une recherche désintéressée du bien commun. A l'instar de Saint Thomas, ils prétendent ne croire que ce qu'ils voient. En réalité, ils finissent par ne plus voir que ce qu'ils croient . Mas dire que ce sont les Aurès et la Kabylie qui ont porté les combats les plus importants de la Révolution algérienne est une réalité historique que nul ne peut contester mais transformer ces combats et leurs héros en «butin de guerre» à échanger contre un trône ou une prime personnelle est une insulte à leurs mémoires. Noredine Aït Hamouda a le droit le plus absolu et le devoir filial de demander des comptes à qui il veut. La séquestration des ossements des colonels Amirouche et El Haouès salit la mémoire de ceux qui, de loin ou de près, y furent mêlés autant par leurs actes que par leurs silences et tous les Algériens sont en droit de demander des explications, sur ce rapt des deux corps, aux acteurs encore vivants. N'oublions pas, aussi, que le président Chadli n'avait aucune compétence pour réaliser des miracles, si tel était le cas pourquoi a-t-il attendu 1984 pour agir, ne faisait-il pas partie du sérail depuis 1962 voire avant? Quel était le but de son instrumentalisation ? Les Algériennes, militantes de cette époque se souviennent que sans discussion ni remord Chadli avait instauré l'institutionnalisation du «code de l'infamie» malgré leurs multiples marches et pétitions. Ces années-là, Chadli avait pratiqué la politique de Hassan II qui avait livré aux services secrets étrangers Ben Barka , Chadli livra le peuple algérien aux fureurs et aux couteaux des intégristes, en manipulant la foi, la mémoire et la misère du peuple algérien pour servir les intérêts de l'expansionnisme américain et celui de ses alliés. A-t- on oublié que ses meilleurs guides étaient Mitterrand et les conseillers du FMI, ses amis parmi d'autres «amis des richesses du sous-sol algérien»? Le dirigeant du RCD ne se souvient-il pas de nos combats pour éviter à l'Algérie de devenir une théocratie saoudienne ou iranienne et une proie de la Banque Mondiale et du FMI ? Sait-il le nombre d'Algériens qui disent aujourd'hui encore «heureusement que Chadli n'avait pas le pouvoir en 1955, sinon il aurait bradé la souveraineté de l'Algérie en signant comme Mohamed V «l'indépendance dans l'interdépendance », situation de mise sous tutelle politique qui prévaut à ce jour au Maroc. Saïd Sadi est un responsable politique, il sait combien la direction d'hommes en toutes occasions n'est pas chose aisée, malheureusement, il l'a oubliée en rendant hommage à son idole, il a bâti ses démonstrations au détriment de la population d'une région, qui ne bénéficia pas de la scolarisation française jusqu'en 1962, et qui n'a pas pour habitude d'investir le champ médiatique des attaques pour répondre aux coups reçus. Est-ce sa méconnaissance de l'histoire et des hommes des Aurès qui le font tomber dans un descriptif digne de l'ethnologie coloniale ? En 1955, les Algériens, en majorité, fonctionnaient encore dans l'appartenance régionale, linguistique ou religieuse, l'appartenance nationale venant en dernier ressort, c'est dans les combats et en immigration que «désormais le Chaouia de l'Aurès se rencontre avec le Grand-Kabyle de Tizi-Ouzou, l'Arabe des Oasis avec ceux des Hauts-Plateaux, le Berbère avec l'Arabe, etc. . ». Alors, écrire en 2010 sur tel fait ou tel personnage de la Révolution en tombant dans l'anachronisme c'est oublier que si l'histoire est accessible à tous, la mémoire l'est forcément moins, parce qu'elle appartient - ou semble appartenir- d'abord au groupe qui la revendique et qu'elle reste hermétique aux autres tant qu'elle ne s'insère pas dans une mémoire collective . Les batailles écrites et contenues dans certains sites internet et émanant de jeunes s'identifiant «kabyle du MAK », «Algériens», «berbères d'autres régions» «berbères de France» etc. prouvent la responsabilité des adultes lorsqu'ils abordent des sujets sérieux telle l'Histoire nationale, car ne pas préciser qu'il s'agit d'une biographie et non d'une vérité historique immuable est un danger pour le vivre-ensemble, surtout pour les populations vivant en émigration. Les jeunes algériens, en Algérie ou à l'étranger, sont souvent écartelés entre des mémoires familiales et des cultures villageoises ou régionales quelquefois contradictoires, des démonstrations hâtives peuvent conduire au résultat contraire du but recherché, ceci est dommageable pour ces générations qu'elles soient «kabyles» ou non. D'ailleurs, la berbérité n'est pas génétique et elle n'est le monopole d'aucun village, l'ensemble de l'Afrique du Nord porte cette filiation mais les différentes invasions des pays concernés au cours des siècles et l'instrumentalisation politicienne qui en est faite à tous les échelons qu'ils soient politiques ou associatifs, depuis quelques décennies, ont empêché son émergence historique dans les livres d'Histoire Nationale et sa transmission linguistique à grande échelle. Salem Chaker, reconnaît que le berbère parlé dans les Aurès «contient 30% de moins de mots d'emprunt à l'arabe que le kabyle». Une universitaire américaine a soutenu sa thèse sur la complexité du «mythe kabyle» et des ses conséquences passées et présentes: «de la complexité du legs du mythe kabyle, c'est la mémoire historique qui constitue l'aspect à la fois le plus durable et le moins définissable. La présence en fut telle que les Français aussi bien que les Algériens en ont ressenti le poids après l'indépendance ». Les adultes doivent veiller en retraçant l'histoire de destins personnels engagés dans des faits historiques nationaux à ne pas tomber dans des contradictions avec d'autres acteurs ou d'autres régions et ainsi éviter aussi le traquenard des répétitions de traditions archaïques. En 2010 en France autant qu'en Algérie, l'air du temps favorise l'oubli, les occultations et le révisionnisme sinon comment interpréter ces informations publiées par un ancien militaire colonial dont on peut se demander qui l'a commandité au regard des multiples contradictions contenues dans son ouvrage lorsqu'elles sont confrontées à d'autres sources, y compris coloniales, émanant d'anciens acteurs des différents services d'intoxications. Quelques exemples informent le lecteur universitaire ou simple citoyen sur ces manipulations: - En p. 48: «Amirouche écrira aux chefs des autres wilayas, le 3 août 1958» comme preuve l'auteur a inséré dans le texte une lettre censée être rédigée par Amirouche et datée «du 3 avril 1958», bizarre, est-ce qu'Amirouche a rédigé sa lettre à une date et l'a adressée à une autre, l'auteur ne le précise pas. Lorsque le lecteur compare cette lettre du «3 avril 1958» avec celle datée du 3 août 1958 et destinée «au colonel commandant en chef de la W VI, avec copie aux cinq autres wilayas, au CCE de Tunis et la dernière aux archives» reproduite intégralement en annexe du récit de P. A. Léger elle diffère autant par le style que par la taille et l'on se trouve confronté à un mystère qui conduit à s'interroger sur les objectifs de cette manipulation, à qui profite le crime ? - Il poursuit son travail mensonger en décrivant en page 160 sa version de l'assassinat des deux héros en ces termes: «Le 16 mars 1959, Amirouche se met en route pour Tunis, entraînant avec lui Si Haouès, chef de la wilaya 6. Ils sortent de Kabylie et passent vers le sud, entre Djelfa et Boussaâda avant de rejoindre la frontière tunisienne. Mais malheureusement pour lui, son itinéraire fut communiqué au commandement français par un opérateur radio aux ordres de Boussouf qui désirait se débarrasser de ces deux contestataires!». Il ne précise pas sa source ni ne fournit de document en annexe, peut-être les garde-t-il pour plus tard ? Certes, les dénonciations n'ont pas manquées tout au long de cette guerre malgré l'instauration du cloisonnement des informations et la collégialité de commandement, mais «à trop vouloir prouver on ne convainc personne» - Parler d'Août 1955 sans décrire, comme le conseille Mohamed Harbi, les enchainements d'initiatives et les ripostes c'est demander à un unijambiste de marcher sur ses 2 pieds. Bien sûr, seuls les nazis et leurs semblables peuvent approuver l'horreur de la violence, or juger les massacres du 20 août 1955 qui se sont déroulés dans le quadrilatère Collo-Philippeville-Constantine-Guelma sans se référer à ceux du 8 mai 1945 vécus par les «indigènes» c'est écrire un roman et non un écrit historique. Surtout que cette décision du grand combattant Zighout Youssef était destinée, en partie, à déloger le rouleau-compresseur de l'armée coloniale qui écrasait la WI. C'est aussi ignorer, cette année-là précisément, l'accélération de l'histoire mondiale et nord-africaine qui peut être saisie à travers ces quelques dates: le 20 août 1955, la population de la région berbérophone d'Oued Zem au Maroc se soulève et massacre 49 employés européens, le 6 septembre 1955 le pouvoir colonial permet à Mohamed V de rentrer d'exil et de signer l'accord «de l'indépendance dans l'interdépendance» cité ci-dessus. En Tunisie, Salah Ben Youssef refuse les accords de Bourguiba qui ne correspondent pas à une rupture totale avec le pouvoir colonial français car Bourguiba craignait «les révolutionnaires socialistes» c'est pour cette raison qu'il a accepté l'allégeance aux USA . Ben Youssef ne voulait pas de cette allégeance car elle ne correspondait pas à son désir de libération des pays d'Afrique du Nord et la création de leur union. En 1955, naissance de la police politique de Bourguiba destinée, en premier, à contrôler les 300 000 réfugiés algériens composés de civils ayant fuit les déportations du général Parlange et des djounouds venant se ravitailler en armes, c'est ce système policier qui dure à ce jour. Frantz Fanon a expliqué que dans les luttes armées il y a ce qu'on pourrait appeler le point de non-retour. C'est presque toujours la répression énorme englobant tous les secteurs du peuple colonisé qui le réalise. Ce point fut atteint en Algérie avec les 12 000 victimes algériennes (contre100 victimes pieds-noirs) de Philippeville et en 1956 avec l'installation par Robert Lacoste des milices urbaines et rurales. Ben M'Hidi l'a courageusement rappelé aux dirigeants de l'armada militaire de la 4ème puissance militaire de l'époque qui mettaient à égalité les couffins des indépendantistes algériens avec leurs puissants engins de destructions massives y compris sur les populations désarmées. Les premiers bombardements contre les populations civiles eurent lieu dans les Aurès le 10 et 11 novembre 1954. Ecrire que les actes coloniaux de 1955 et 1956 sont les conséquences de août 1955 c'est bruler les étapes et tomber dans le discours de Camus repris par Benjamin Stora qui écrit le 30 septembre 2007: «Albert Camus, dans son appel pour une trêve civile, préparée secrètement avec le dirigeant algérien du FLN Abane Ramdane(13), il écrit en janvier 1956: quelles que soient les origines anciennes et profondes de la tragédie algérienne, un fait demeure: aucune cause ne justifie la mort de l'innocent», information retranscrite intégralement sur de nombreux sites internet. Camus souhaitait, comme d'autres libéraux pieds-noirs, une émancipation politique des «musulmans» dans un cadre français ils ne désiraient pas l'indépendance de l'Algérie, pour eux il s'agissait de casser l'oppression vécue par «les musulmans» et d'asseoir leur paternalisme. Selon leur pensée «les musulmans sont de grands enfants incapables de diriger car émotifs et fatalistes, ignorant la rationalité et Descartes». Soutenir qu'en juin 1956 Hamid Zabana et Abdelkader Ferradj furent guillotinés à la prison de Serkadji à cause des faits de 1955 c'est ne pas tenir compte des féroces batailles internationales liées à la guerre froide Est/Ouest et autour du pétrole dont la France voulait une part dans le marché international face aux compagnies anglaises et américaines. Or, le 11 janvier 1956 le pétrole avait jailli à Edjeleh (Sahara). En votant en mars 1956 la loi «des pleins pouvoirs» remis à l'armée coloniale, le pouvoir politique voulait écraser intégralement les combattants du FLN/ALN, plus les découvertes de pétrole et de gaz se développaient plus les tenants de «la 3ème voie» s'activaient. A partir de 1958, ils proposèrent le partage de l'Algérie en octroyant les parties les plus utiles aux Français (juifs compris) et la rocaille aux «indigènes», tandis que le Sahara demeurerait sous souveraineté française, un sort à la palestinienne ou à l'irakienne. A suivre * Militante du RCD Immigration de 1994 à 1999