Un photographe italien, Pablo Volta, mort en 2011, avait séjourné en Algérie à un moment où le pays, ayant desserré une étouffante étreinte, se retrouvait comme sonné de redécouvrir la lumière. Il avait pris le temps d'immortaliser des scènes de la vie quotidienne dans la capitale ou en accompagnant une caravane militante en route vers le Djebel Amour. Une quarantaine de photos exposés au Bastion 23 jusqu'au 20 décembre, révèle en cette automne 1963, une société qui s'était remise à vivre. L'objectif a saisi des instants fugaces de la vie de petites gens vaquant à leurs occupations banales, plutôt ordinaires. Le photographe n'a pas immortalisé les scènes de liesse dans les rues, ni les stigmates de la guerre qui a dévasté les lieux et les cœurs. Lors d'un défilé militaire, en compagnie de cavaliers dans la vaste steppe ou au milieu des ruelles de la Casbah, l'œil de Volta a capté des instants, surpris des femmes et des hommes de toute condition. Là c'est un vétérinaire qui soigne un taureau, ailleurs ce sont des comédiens surpris dans leur jeu ou un petit artisan concentré sur ses outils et l'objet qu'il peaufine. On ne lit plus de frayeur dans les regards mais on décèle, à travers des sourires, d'étranges postures, le renouveau, une fantaisie qui peut s'exprimer sans crainte. Comme si la guerre en se retirant avait entrouvert la porte à l'espoir. On découvre des écolières qui apprennent à l'air libre, des infirmières soignant des familles bédouines. Des sourires de femmes habillées en tenues traditionnelles ou en jupes sont le symbole d'un pays qui cherche à se relever, à soigner ses plaies. Hormis le président Ben Bella engoncé dans une gabardine au col Mao, on repère peu d'officiels sur les clichés en noir et blanc. Quelques uns, dans des costumes noirs, arborant des couleurs de la même couleur sont certes, là, souvent en arrière-plan. Le photographie en empathie avec les humbles préfère s'attarder sur ces jeunes qui se penchent sur une affiche électorale, des cavaliers altiers qui s'élancent dans la steppe emblème national flottant au vent. Les tenues, les pieds enserrés dans des sandales de caoutchouc révèlent certes çà et là, des aspects de la misère et du dénuement mais le cadrage, le souci de vérité et d'authenticité donne à ces photos valeur de documents précieux. S'attarder devant celles-ci , c'est prendre le temps de traverser une époque. La misère suinte certes des tenues, mais elles montrent un peuple qui semble découvrir les délices de la paix et qui renoue avec la joie du travail ou de l'apprentissage. Les photos nous montrent un temps à la fois proche et lointain. On éprouve un sentiment mitigé, mélange de nostalgie et de déception. Des costumes ont depuis disparu et l'on se retrouve comme devant un album de famille où un grand-père, une aïeule rappellent par un regard, une posture ce qui fut et que demain sera davantage reniement qu'attachement. Une autre exposition « images et visages » qui se déroule dans la même enceinte réunit les souvenirs et les objets de deux personnalités emblématiques de la scène culturelle algérienne. Ahmed Bedjaoui et le peintre Denis Martinez ont réuni des portraits d'autres artistes (El Anka, Boudia, Kateb, Senac...), des affiches de films de la fin des années 1960. On peut admirer des scènes de tournages de films, comme « Z » de Costa Gavras, qui ressuscitent une Algérie où le parti unique n'avait pas empêché un certain bouillonnement des idées. Martinez nous invite dans son univers de créateur, à partager dans une sorte de complicité avec Ahmed Bedjaoui de précieux souvenirs. A voir et à découvrir.