L'Algérie est le deuxième grand centre spirituel soufi après l'Egypte dans le monde arabe. Ce rang la prémunit-elle pour autant contre la prolifération de l'extrémisme et du fondamentalisme religieux ? Pour le Dr Mohamed Benbrika, éminent chercheur en sciences islamiques, l'Islam modéré et de la tolérance incarné chez nous par les voix initiatiques est, par définition, un rempart solide contre les idéologies sectaires et populistes. Mais cela reste insuffisant. « L'extrémisme religieux et la violence dans son expression la plus sauvage a mis de nombreux pays musulmans, notamment durant les XXe et XXIe siècles, à feu et à sang. Dans un passé récent, la Syrie et l'Irak étaient des centres spirituels très importants dans la région arabe. Malgré cela, l'idéologie extrémiste a fini par les faire sombrer, et leurs peuples avec, dans le chaos. Même la Libye et le Mali sont en train de connaître le même sort avec tout ce que cela suppose comme menace dans la région », a rappelé jeudi ce penseur spécialiste du soufisme, lors du forum des médias de Tipasa. Cette mise en garde ne concerne pas uniquement le terrorisme. « L'extrémisme religieux est avant tout une matrice qui agit sous différentes formes. Elle investit le champ politique et la société et se radicalise dès que les conditions lui sont favorables. Cette secte qui ne reconnaît ni rite ni morale, encore moins le concept de la nation, campe sur des positions fondamentalistes puisées d'une manière sélective et à desseins dans des fetwas, soit devenues caduques, soit n'ayant aucune relation de fond avec les préceptes de notre religion », souligne-t-il. Pour lui, il est temps de barrer la route à cette menace contre le patrimoine et l'identité nationaux, issue, selon lui, du wahhabisme. « Pour les wahhabites, l'interdit et le péché sont devenus la norme. Dans leur doctrine, le cercle de l'interdit est nettement supérieur à celui du domaine du toléré. C'est exactement le contraire de la règle religieuse. Cette conception est une porte ouverte à toutes les dérives, dans la mesure où on ne se gêne pas à expliquer l'absolu par le relatif », révèle-t-il. A l'en croire, les prédicateurs de cette doctrine n'accumulent nullement un bagage intellectuel et de savoir suffisamment consistant pour partager un discours interactif avec l'auditoire, basé sur un dialogue constructif et sans idées préconçues et a priori. « Même la célébration du Mawlid Ennabawi est pour les porte-voix de cette doctrine un péché. L'on se rappelle dernièrement l'appel au meurtre lancé contre Kamel Daoud pour apostasie. Ce sont des raccourcis qui n'ont aucun point commun, aussi petit soit-il, avec notre religion qui fait sien le combat de la défense et de l'intégrité de l'humain qu'il soit vivant ou mort », recadre-t-il. Et d'ajouter : « Faire face à cette doctrine extrémiste nécessite la conjugaison de toutes les forces de la société et de l'Etat à commencer par la famille, l'école et la mosquée ». La citoyenneté au cœur de l'école Pour lui, la promotion de l'identité nationale et de la citoyenneté doit être au centre des programmes de l'éducation religieuse et civique dans l'école. Les enseignants doivent se conformer sans interprétation ou politisation des programmes pour ne pas en altérer le sens comme cela se produit souvent actuellement. Le choix des imams doit se faire sur la base de critères rigoureux et une enquête approfondie sur leurs comportements et leurs tendances idéologiques. « Il faut aussi mettre un terme à la vente des livres faisant l'apologie des doctrines extrémistes quelles que soient leurs origines », conseille-t-il. Outre la création de l'institution du mufti de la République, le Dr Benbrika appelle à la mise sur pied d'un centre d'études spécialisé dans les phénomènes de la religion et une agence pour les études prospectives au service de la sécurité nationale.