Le bras de fer s'installe dans une Europe à double visage. Entre le camp anti-austérité, conforté par la victoire écrasante de la gauche radicale grecque, et l'Europe de l'orthodoxie financière et économique, chère à Angela Merkel, la rupture pèse sur l'avenir de l'euro et, par-delà, sur le projet unitaire du Vieux Continent. Le cas d'école grec est l'illustration concrète du mal européen et de la faillite de la douloureuse médication de la troïka (BCE, Fmi, UE), vilipendée et qualifiée de « délégation tripartite anti-européenne construite sur une base branlante ». Il faut assurément percevoir derrière la bataille inégale du petit David grec contre le Goliath allemand, l'étendue du malaise généré par un surendettement drastique des Etats en faillite. C'est tout l'édifice de l'UE qui souffre du flagrant déséquilibre dramatiquement vécu par l'Europe du Sud, nécessitant, aux yeux des spécialistes, une « version moderne du plan Marshall » pour permettre la restructuration des dettes souveraines et la relance de l'investissement public. C'est du moins l'enjeu essentiel du débat européen qui incite le nouveau gouvernement grec d'Alexis Tsipras à prendre son bâton de pèlerin pour convaincre ses partenaires européens du bien-fondé de sa démarche. Le message trouve sa signification dans la tournée européenne du nouvel homme fort de la Grèce qui, après avoir consacré sa première audience à l'ambassadeur russe, a prévu de se rendre, mardi et mercredi prochains, en Italie et en France. Il sera précédé par son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, qui était attendu, hier, à Paris, pour amorcer des discussions avec son homologue Michel Sapin et le ministre de l'Economie, pour trouver « une solution viable, durable, qui profite à tous ». Mais il reste que le dialogue de sourds européen sur la renégociation de la dette ne facilite pas un consensus compromis par le niet allemand au « nouvel effacement de la dette » qui se justifie, selon Merkel, par le « renoncement volontaire des créances privées » de quelque 100 milliards d'euros. Le cap des réformes structurelles, apparenté au fameux PAS africain de triste mémoire, conditionne la poursuite de l'aide. Appréhendé comme une mise sous tutelle qui ne dit pas son nom, le diktat de la troïka a sonné la révolte d'Athènes qui ne veut plus se satisfaire des 7 milliards d'euros promis, d'ici février, pour se consacrer, comme l'a réitéré le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, au responsable de la zone euro, Jeroen Dijsselbloem, à la refonte de « tout le programme ». Au bord de l'effondrement (la dette étant à 175% du Pib), la Grèce est mal partie. Elle dispose tout juste de 2 milliards d'euros, qui disparaîtront d'ici février, et se doit de faire face à un échéancier de remboursement très rapproché (22,5 milliards d'euros courant 2015, 4 milliards d'ici à la fin mars et 8 milliards en juillet et en août) et mobiliser près de 12 milliards pour le financement de son programme anti-austérité (hausse du salaire minimal à 750 euros, versement du 13e mois pour les retraités, moins de 700 euro), relèvement du seuil annuel des revenus imposables pour les particuliers...). Le défi grec n'est pas sans agiter le syndrome du Grexit (une sortie de la Grèce de la zone euro) qui risque de provoquer une implosion de la monnaie unique. L'Europe bascule, à la veille des échéances électorales en Grande-Bretagne et en Espagne, dans la brèche ouverte par l'allié grec Syriza, inspirant la montée au créneau de Podemos, le parti espagnol issu du mouvement des Indignés et né tout juste il y a un an pour se poser en alternative sérieuse (1,2 million de voix, cinq députés sur 54 aux européennes de mai 2014) à la mainmise du Parti socialiste et le Parti populaire de la droite au pouvoir. A moins d'un an des législatives en Espagne et à quatre mois des élections régionales partielles et municipales, la « marche pour le changement » réédite la performance grecque. « Ce qui s'est passé en Grèce est historique. Tout le monde sait que la suivante, c'est l'Espagne », a assuré, hier, au quotidien en ligne Publico, le Français Jean-Luc Mélenchon, dirigeant du Parti de gauche, allié de ces deux formations. « Le 31 janvier, nous allons démontrer que tous ensemble nous allons changer l'histoire de notre pays », promet son leader, le très charismatique professeur des sciences politiques, Pablo Iglesias.