Comme dans d'autres secteurs, les Maghrébines sont entrées dans le monde du cinéma avec passion et opiniâtreté. Longtemps cadenassé, le monde du septième art s'ouvre à la gente féminine qui rêve depuis des lustres de le conquérir. Très souvent comédiennes ou affectées traditionnellement aux postes de scripts, de monteuses ou de maquilleuses, les femmes ont fini par accéder à l'écriture filmique et à la création cinématographique. Leurs films, nés souvent dans des conditions difficiles, émergent au grand jour en se faisant les porte-voix des blessures cachées, des douleurs grandes et petites qui tissent la vie ordinaire… Les femmes cinéastes montrent le quotidien dans sa nudité, sans emphase et sans fioriture. A travers leurs récits et leurs témoignages, c'est toute l'expression d'une inquiétude commune qui suinte. La pionnière en Algérie, et sans doute au Maghreb, est la romancière et aujourd'hui académicienne Assia Djebar. L'écrivaine, pour qui l'activité littéraire revêt une importance de premier plan, a tenté deux aventures dans le cinéma. Son premier téléfilm, La Nouba des femmes du Mont Chénoua (1978), demeure un modèle du genre anthropologique. Par sa description minutieuse des conditions de vie des femmes montagnardes et par son originalité, il obtiendra le prix de la Critique à la Biennale de Venise de 1978. Il sera suivi en 1982 par La Zerda ou les Chants de l'oubli. Suivront en Tunisie, dès 1982, Nejia Ben Mabrouk, Fatma Skandrani, Sophie Ferchiou et Selma Baccar, premières femmes à investir le créneau des longs métrages. Depuis lors, de nouvelles cinéastes ont pris le relais. Figures de proue, telles Farida Benlyazid (Maroc), Moufida Tlatli (Tunisie) ou Yamina Chouikh (Algérie), les premières cinéastes maghrébines ont permis au cinéma du Maghreb d'accroître sa visibilité à l'intérieur et à l'extérieur des frontières. Yamina Chouikh, à travers Rachida, a essayé de montrer tout simplement le sordide quotidien de femmes prises dans la tourmente du terrorisme aveugle. Tlatli Moufida, réalisatrice de La Saison des hommes et de Les Silences du Palais, a essayé de mettre en avant la part d'ombre des individus (hommes ou femmes), tout en évoquant leur tristesse et leur désarroi dans de fins portraits psychologiques. Pour échapper à la chape de plomb, à la claustration dont il est toujours difficile de s'extraire, les personnages féminins de Tlatli ont recours au chant à la musique comme moyen de consolation, comme raison d'espérer pour oublier leur vie délétère et surtout voie d'expression. Dans L'enfant endormi, Yasmine Kassari raconte l'histoire d'une jeune mariée, Zeinab, qui voit son époux quitter le pays pour la clandestinité au lendemain de ses noces. Enceinte, elle attend le retour de son mari et fait endormir son fœtus. Le temps passe, mais le mari ne revient pas... Un conte moderne prégnant qui met en scène Rachida Brakni et Mounia Ousfour. Nadia Cherabi dont l'œuvre documentaire (Amaria et El haouta) répond parfaitement aux palpitations de la société algérienne, comme aux interrogations de la jeune génération, a essayé de se concentrer dans son premier long métrage sur la condition féminine en Algérie et, par extension, dans l'ensemble du Monde arabe. Dans L'Envers du miroir, elle raconte avec une force rare l'histoire bouleversante d'une jeune fille abusée par son beau-père. On peut aimer ou ne pas aimer le film, mais ce dernier, en exposant un tabou de la société, donne l'occasion de réfléchir sur la violence qui se déchaîne au sein de la famille et sur la situation des femmes. Le cinéma de Yamina Benguigui traite, pour sa part, des femmes algériennes dans l'exil. Mémoires d'immigrés, portrait émouvant des pères, des mères et des jeunes issus de l'immigration et exprime toute la tristesse du départ, la difficulté de vivre en France. Elle témoignera dans Plafond de verre et dans Inch'Allah dimanche des difficultés rencontrées par la jeune génération qui vit tant bien que mal et plutôt mal que bien une double appartenance historique et culturelle. Exil à domicile, de Leila Habchi, illustre encore la complexité de la vie des Algériennes en France. A travers Barakat ! Djamila Sahraoui brosse pour sa part un portrait de femmes (l'une jeune, l'autre âgée) dans toute la profondeur de leur ironie et de leur désenchantement. Un film éclairant sur la montée de l'islamisme en Algérie. Récits ou témoignages sur le vécu des femmes, expression d'une inquiétude finalement commune aux deux sexes, à travers leurs films, les réalisatrices se racontent, racontent leurs histoires, celles de leurs parents et, ce faisant, traduisent les libertés confisquées, les souffrances, les douleurs et les atrocités trop longtemps contenues. Témoignant d'un vécu, elles montrent tout simplement la vie de leurs compatriotes, femmes et hommes ordinaires. Ceci dit, peut-on, comme cela s'est fait pour la littérature ou la peinture, parler d'une écriture, d'une narrativité filmique, d'une intelligence discursive spécifique au monde féminin ? La thématique, la stylistique, l'expressivité, divergent-elles fondamentalement, selon que l'on ait à faire à l'œuvre d'un réalisateur ou d'une réalisatrice ? Une précision s'impose d'emblée : bien avant que les femmes ne passent derrière les caméras, d'excellents films sur la situation faites aux femmes ont été réalisés par des hommes. La place des personnages féminins dans les productions cinématographiques masculines est révélatrice de cet aspect. Leurs films ont parfaitement témoigné du combat des femmes, de leur résistance face aux discriminations, aux ostracismes, au nihilisme, à la bêtise humaine. D'ailleurs, l'accueil positif qu'ils avaient obtenu auprès des publics féminins, prouve s'il en était besoin que ces réalisateurs, du moins en partie, avaient su représenter et exprimer la condition féminine maghrébine. On peut citer ainsi en Algérie, Le Vent des Aurès de Mohamed-Lakhdar Hamina sur la guerre de Libération nationale ou ces films qui témoignent des luttes et espoirs des femmes au lendemain de l'indépendance comme Elles d'Ahmed Lallem ou encore L'Obstacle et Premiers pas de Mohamed Bouamari. Le documentaire Violence contre les femmes, 2008, de Sid Ali Mazif est dans la même veine que son long métrage de fiction Leila et les autres (1977). Dans ce dernier, le réalisateur raconte l'histoire de Mériem, une jeune femme soumise de force à un mariage qu'elle refuse, tandis que son amie Leila se bat contre l'injustice dans le travail. Traité de manière documentaire ou sous forme de fiction, le vécu des femmes dans la société algérienne apparaît de manière constante aussi bien dans son cinéma masculin que féminin. Que ce soit dans Ayrouwen, (2008), de Brahim Tsaki, qui met en scène une femme du grand désert, ou dans Wara El Blaik une histoire d'amour de Sonia Chamkhi, ou encore dans Hnifa, une vie brulée, 2008, documentaire de Ramdane Iftini et Sami Ailam, qui raconte la vie tumultueuse de la chanteuse de l'exil ou enfin, Viva l'Algérie de Nadir Moknèche, les femmes sont intégrées dans l'espace social. Elles travaillent, sortent en ville, chantent, dansent… dans une société qui impose leur effacement. Certes, les cinéastes femmes apportent une vision distincte du monde contemporain. Leurs œuvres, impertinentes ou sages, revendicatives ou superficielles, ambitieuses ou ambivalentes, laissent découvrir la vigueur d'une pensée, la couleur d'un style ou le sérieux d'une histoire. Bien loin de disposer des mêmes moyens que leurs consœurs européennes et anglo-saxonnes, les cinéastes maghrébines s'en sortent, malgré tout, avec de brillants faits d'armes et avec cette même passion de créer et d'affirmer leur existence. Les dernières productions parlent d'elles-mêmes.Leurs films naissent dans des conditions difficiles, prenant souvent l'allure d'une critique sociale et/ou politique, situant l'identité et le statut de la femme au cœur de la réflexion. On se surprend cependant à chercher la touche féminine qui caractériserait ces créations de femmes artistes. Celle-ci, s'inscrit certes, dans cette sensibilité, voire cette sensualité, qui émerge de leurs images. Mais, l'idée d'une littérature ou d'un cinéma « féminin », opposé à une littérature ou un cinéma « masculin », semble être un parfait non-sens. Un film ou un roman peut être bon ou mauvais, indépendamment du sexe de son auteur. Finalement, ce sexisme que l'on tente vainement de mettre en relief, relève du fantasme et d'une vision manichéenne et tronquée de l'histoire. Les différences entre individus d'un même sexe sont parfois tellement énormes qu'elles supplantent les différences entre hommes et femmes.Et cela paraît valable pour l'ensemble des expressions littéraires et artistiques. Ecrire et dire, montrer tout simplement la vie de leurs compatriotes, sur l'une ou l'autre rive, exprimer le quotidien de millions de femmes et d'hommes ordinaires, éclaircir les pans obscurs de notre lutte de Libération nationale, dénoncer les maux sociaux, montrer la vie difficile dans et hors des villes… Tel semble être le dénominateur commun de ces nouveaux talents qui émergent au grand jour. Cris étouffés, cris de douleur, cris de solitude, mais aussi cris de résistance portant un regard lucide sur une société, aujourd'hui dispersée aux quatre vents.