Aucune compassion et encore moins un sentiment dévalorisant de pitié : la catégorie qualifiée injustement de « handicapés », lourdement défavorisés par la nature et une marginalisation sociale. Samedi, au Théâtre national algérien (TNA) Mahieddine-Bachtarzi, l'approche a prévalu lors de la générale de « Mouaâq wa lakin... ». Vous l'aurez bien lu : « Handicapés, mais... ». Elle s'est imposée à l'occasion de la célébration de la Journée nationale des handicapés qui a été une réussite totale, aussi bien sur le plan technique qu'humain. Mise en scène par le duo Djamel Guermi-Abbes Mohamed Islam et écrite par Rezzak Mohamed Nabil, le secrétaire général de la Fédération nationale des handicapés, elle est dédiée, comme son nom l'indique, aux personnes souffrant de handicap. Cette représentation inédite jouée par douze handicapés moteurs, visuels et physiques, a offert, en présence de la ministre de la Culture, Mme Nadia Labidi, au public venu nombreux, un spectacle théâtral hors pair. La ministre, subjuguée par le titre de la pièce « Handicapés mais... », le juge toutefois incomplet. » Je voudrais ajouter, dira-elle, « handicapés mais artistes ». Un bel éloge à la hauteur du mérite sanctionnant une initiative louable appelée à se multiplier à l'avenir. Elle rappellera que son département a signé, la semaine dernière, une convention avec le ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme, ainsi que celui de l'Enseignement professionnel, pour soutenir cette frange de la population et favoriser la prise de conscience pour l'insertion sociale. Avant le lever de rideau, trois fauteuils roulants en aluminium d'un nouveau produit destiné à être monté en Algérie, ont été offerts gracieusement aux comédiens de la pièce « Mouaâq wa lakin... », par l'Office national d'appareillages et d'accessoires pour personnes handicapées (ONAAPH). De son côté, Rezzak Mohamed Nabil, le secrétaire général de la Fédération nationale des handicapés, dira que « nous avons lancé un défi que nous réalisons aujourd'hui avec le soutien et l'appui de plusieurs partenaires, dont le ministère de la Culture, le TNA, les hommes de théâtre, les comédiens, l'ONAAPH, les autorités locales et la presse ». Réalisé en deux mois, ce spectacle d'une durée de cinquante-trois minutes est interprété par des comédiens qui ne sont jamais montés sur les planches d'un théâtre. Il s'agit d'Amina Kettab, Ali Baba Fatma-Zohra, Aïssa Aniche, Larbi Gaoui, Nour El Hadi Gouasmia, Abdelmadjid Ourabah, Toufik Aïssaoui, Chafik Abbad, Bilal Saïdi, Karim Louanchi, Djamel Sam et Karim Bettou. Ces comédiens ont évolué dans un décor simple et sur une scène plate. L'assistance est plongée dans une ambiance particulière en lui ouvrant une lucarne sur un monde que nous ignorons. Un théâtre bien proche du réel. Avec un art consommé de l'interprétation, les douze comédiens ont su créer l'illusion du réel et raconter avec talent en usant des techniques proches de celles des « Goualine », (conteurs populaires), les aventures d'un certain Krimou, un jeune intellectuel handicapé qui décide de voir le maire et un président d'une association pour illustrer le regard des pouvoirs publics et de la société civile. Finalement, il se heurte à un bloc. Le public a non seulement assimilé les messages de ce texte mais a également vibré pour cette riche interprétation, de ce savoir-faire et de ce jeu théâtral. Cette œuvre lie rêve et fureur, passion et réalité. Mais une si triste réalité que révèle le statut de cette catégorie sociale qu'il s'agit d'intégrer d'une manière totale et effective dans le processus économique du pays. Et surtout, il faut arrêter de les appréhender avec un regard pathétique et réducteur. Et pour exprimer cette idée, les metteurs en scène ont savamment réussi à exposer la dualité entre le monde des idées, dans toute sa pureté et sa noblesse, et le monde matériel. La pièce reflète également le niveau de l'effort fourni par cette équipe pour acquérir le langage théâtral et le domestiquer au profit de l'expression de questions sociales et autres.