Damas exulte. Dans des propos reproduits par l'agence Sana, le président syrien Bachar El Assad, longtemps voué aux gémonies par les Etats-Unis et leurs alliés, a promptement réagi aux déclarations tonitruantes de Kerry, appelant « au final » à négocier avec lui. « Nous écoutons toujours les déclarations, nous devons attendre les actes et à ce moment-là, on décidera », a-t-il affirmé. Le retournement de situation fonde le postulat de base de la reconnaissance de la légitimité et du statut d'interlocuteur viable de Bachar El Assad. La nouvelle perception américaine, qui laisse en rade une coalition internationale à la peine et des puissances régionales totalement investies dans le renversement du régime syrien, tranche le choix cornélien entre son effondrement et l'avènement de Daech. Elle signe le discrédit de la Coalition nationale, reconnue par les Occidentaux et minée par des divisions internes. Pour le quotidien privé syrien El Watan, « une nouvelle étape dans les négociations politiques » s'ouvre. L'éventualité de la présence d'un « émissaire américain » à la rencontre de Moscou, prévue le 6 avril, est évoquée en signe d'abandon de la solution militaire. A juste titre, l'initiative russe qui a réuni, à la fin février, la délégation gouvernementale, conduite par l'ambassadeur syrien à l'ONU, Bachar Ja'afari, et des représentants de la Coalition nationale, a été approuvée par Washington. Le virage à 180 degrés a fait l'effet d'une bombe. C'est que la victoire politique et morale n'a pas laissé de marbre les parlementaires français de retour de Damas où ils ont effectué, il y a trois semaines, une visite décriée par l'Elysée. Le député UMP, Jacques Myard, a enfoncé le clou. « Les déclarations de John Kerry selon lesquelles les Etats-Unis devront négocier avec le président Bachar El Assad constituent une gifle cinglante pour la diplomatie française qui campe sur des postures pseudo-morales », assure le député des Yvelines, également vice-président du groupe d'amitié France-Syrie à l'Assemblée nationale. Le « réalisme constructif » des Etats-Unis est relevé par l'autre député des Yvelines, Jean-Frédéric Poisson, pour qui « il ne reste plus désormais que deux solutions à la France : avaler son chapeau ou rester en dehors de la solution ». En mauvaise posture, la Turquie juge « inutile » la négociation avec Bachar El Assad. Les dés semblent jetés dès lors que le cadre des discussions a été clarifié par une porte-parole du département d'Etat, Marie Hafr, acquise aux négociations avec des représentants du régime syrien plutôt qu'avec le président El Assad. Et, aussi, édifiante, la position de Paris en faveur d'un « règlement politique négocié entre les différentes parties syriennes » sans El Assad.