L'annonce, en ce début mai, d'une nouvelle politique numérique pour l'Europe par Bruxelles a suscité de nombreux commentaires et interrogations sur les motivations cachées des institutions de l'Europe mais surtout sur les réelles capacités du Vieux continent à réduire le fossé qui le sépare des multinationales américaines de l'internet et de l'économie numérique en général. L'annonce à grandes pompes de poursuites contre les sociétés américaines, telles Google, Facebook ou Amazon est examinée par de nombreux experts pour voir ce qui se cache derrière des velléités jugées par certains d'anachroniques. Dans le sillage de cette actualité sur les perspectives de mise en place d'une stratégie numérique européenne, la presse aura retenu l'annonce de cette nouvelle enquête de la Commission européenne « sur la façon dont les géants de l'internet comme Google, Amazon et Facebook exploitent leur position de force sur leur marché afin de déterminer s'il est nécessaire de durcir la réglementation à leur égard », lit-on dans un papier de l'agence Reuters repris sur le site www.usine-digitale.fr qui précise que cette démarche fait suite, notamment, « aux appels de la France et de l'Allemagne en faveur d'une meilleure régulation des grandes plateformes numériques, qui vont des sites de commerce en ligne comme eBay aux réseaux sociaux ». Pour rappel, cette nouvelle enquête vient quelques jours après l'annonce, par la Commission européenne, de poursuites contre le géant de la recherche sur internet Google qui, d'après ce même site, a été « formellement accusé, il y a sept jours, par la Commission européenne, d'avoir nui à ses concurrents en favorisant systématiquement son propre service de comparaison de prix dans les recherches sur internet » Les annonces viennent au moment où la Commission européenne a décidé de dévoiler quelques détails de sa « stratégie pour un marché unique numérique », conçue pour aider « à actualiser la réglementation en matière de droits d'auteurs, à supprimer les barrières aux livraisons transfrontalières et à s'assurer que les entreprises européennes du secteur sont en mesure de concurrencer leurs grands rivaux américains sur internet », rapporte usine-digitale.fr qui note que cette nouvelle stratégie n'occulte pas le domaine des télécoms qui serait l'objet d'une « refonte ambitieuse » qui permettra à l'Europe de prendre « en compte la concurrence accrue de nouveaux services tels que la messagerie WhatsApp de Facebook et le logiciel de visiophonie Skype de Microsoft », d'après la même source qui voit là, « une décision qui sera très bien accueillie par l'industrie des télécoms. » Pour autant, la presse spéculée autant que les observateurs s'interrogent sur la réelle portée de ces enquêtes sur le fondement d'une stratégie pertinente de mise en place d'une économie numérique efficace et compétitive. « L'annonce d'une enquête européenne sur les pratiques anti-concurrentielles dans l'e-commerce a occulté le fond du plan de la commission européenne pour construire un marché numérique unique » souligne usine-digitale.com qui relève que ce plan « liste 16 actions, dont certaines très concrètes, pour faire tomber les obstacles réglementaires à l'ouverture des frontières commerciales numériques en Europe. » Toujours d'après ce même site, la démarche entreprise contre les géants de l'internet « n'est que la 5e des 16 actions du plan Digital Single Market (DSM) – lui-même l'une des dix priorités du plan de Jean-Claude Junker, président de la Commission – annoncé le même jour par Günther Oettinger, commissaire pour l'économie et la société numérique et Andrus Ansip, vice-président pour le marché unique numérique. » Certes, la plupart des analystes soulignent la nécessité de cette enquête pour marquer la détermination de l'Europe à faire respecter les droits de ses citoyens et à garantir aux entreprises des conditions de concurrence transparentes et loyales. L'objectif étant, en effet, d'une part de donner aux entreprises européennes un marché de taille acceptable, équivalent à celui dont disposent les multinationales américaines et, d'autre part, d'assurer aux consommateurs européens un certain nombre de droits fondamentaux, notamment dans le traitement et l'exploitation de leurs données personnelles. Mais il y a une sorte de consensus sur l'idée que les enjeux pour l'Europe sont également ailleurs, dans la recherche d'une plus grande cohérence, d'une meilleure coordination ; des impératifs retenus dans son plan numérique dénommé « Digital Single Market » qui énumère une liste de règlements dont l'unification paraît primordiale pour la mise en place de la stratégie numérique de l'Europe, « comme le droit des contrats de vente (1re action), la protection des consommateurs (2e), le transport de petits colis (3e), le droit d'auteur (6e), la révision de la directive « satellite & câble » (7e), les règles d'applications de la TVA pour le e-commerce (8e), les modes d'attribution des fréquences radio (9e) ou la révision de la directive « Vie privée et communications électroniques » (12e) », note le site usine-nouvelle.fr. D'autre part, le site fait état d'autres actions envisagées sur un terme un peu plus long, car elles requièrent du temps et de la coordination « comme l'adaptation des règles audiovisuelles existantes (10e), l'analyse du rôle des plateformes en ligne dans le marché (11e), la réflexion autour de la libre circulation des données dans l'Union européenne (14e) ou à la normalisation de systèmes d'e-santé ou de mobilité (15e), sans oublier la définition d'un nouveau plan d'action pour l'administration en ligne », écrit-il. L'adoption de ce plan numérique est attendue pour fin juin prochain, tandis que des pays membres de l'Union européenne, à l'instar de la France et de l'Allemagne, indiquent déjà clairement leurs motivations pour une quête de contexte favorable au développement de leurs PME dans l'économie numérique. Les chiffres avancés comme retombées de ce plan semblent indiquer une perspective de dynamisation, dans la mesure où « le DSM permettrait 340 millions d'euros de croissance supplémentaire en Europe et la création de centaines de milliers d'emplois, affirment les documents de la Commission, sans jamais fournir aucun détail », note le site usine-digitale.fr qui souligne plutôt que « les obstacles à lever qu'elle a identifiés pour récolter cette manne, eux, sont bien chiffrés. » Le journaliste de ce site passe en revue les principales faiblesses qui retardent encore l'avènement d'un contexte d'affaires dans les domaines de l'économie numérique en Europe. Comme premier constat, il relève que « seuls 7% des PME vendent en ligne à l'étranger et que seulement 15% des consommateurs européens achètent en ligne hors de leur pays » et impute cela « aux coûts de livraison (trop chers pour 85% des consommateurs et 62% des entreprises) et d'autre part aux coûts d'adaptation aux règles nationales pour une entreprise (évalués à 9.000 euros) et aux différentes TVA des 28, qui coûteraient globalement à l'Europe 80 milliards d'euros. » Il est également fait cas des divergences de cadres réglementaires en matière de droits d'auteur. Même si la Commission européenne indique « qu'un Européen sur trois veut accéder à son contenu culturel habituel lorsqu'il est à l'étranger et un sur cinq avoir accès à des contenus d'autres pays de l'union », avance usine-digitale.fr, les échanges de produits culturels entre pays européens demeurent encore tributaires de certains freins, dont la levée escomptée « permettrait une croissance de l'ordre de 12% pour les 5 prochaines années, a calculé la DG Connect », souligne ce site. L'auteur de l'article pointe ensuite une autre faiblesse liée à l'infrastructure réseau en indiquant que sur le Vieux continent « seuls 21,8% des connexions sont à haut débit et seulement 25% des Européens peuvent accéder à Internet en 4G (très haut débit mobile), alors que 90% des Américains le peuvent. » Dans les nouveaux créneaux de l'économie numérique, ouverts par les technologies du cloud et du big data, le continent européen est également à la traine. Alors que l'option de l'Europe est de faire accaparer ces créneaux technologiques par des entreprises, celle-ci « manque de compétences : 47% des Européens n'auraient pas les compétences numériques nécessaires alors qu'elles seront requises pour 90% des métiers de demain », d'après ce même site qui note, néanmoins, que si ces nouvelles opportunités technologiques venaient à être « adoptées par les 100 premiers industriels européens, elles permettraient de réaliser plus de 425 millions d'euros d'économies. » Le dernier obstacle évoqué a trait aux usages numériques des Européens qui semblent peu enclins à accorder leur confiance. Même si elle ne dispose pas de données précises sur ce phénomène, la Commission européenne estime que « 72% des internautes européens craignent d'utiliser les services en ligne par peur d'avoir à fournir trop de données personnelles. » La quête européenne d'une stratégie numérique susceptible de dynamiser son économie tout en respectant ses citoyens justifie-t-elle pour autant les attaques portées contre le multinationales américaines de l'internet ? Le professeur Olivier Babeau, de l'université de Bordeaux, s'est prononcé à ce sujet dans une contribution mise en ligne par lescechos.fr, dans laquelle il admet la justesse du procès tout en réfutant ce qu'il a qualifié de « mauvaises raisons ». « La première serait d'habiller des oripeaux de la justice économique ce qui est surtout le ressentiment du vaincu », ajoutant qu'il n'est pas juste « que les critiques contre les géants américains du numérique soient la rationalisation de notre impuissance européenne à créer de l'innovation. » Comme seconde mauvaise raison, ce professeur note la motivation visant à « protéger des modèles économiques parce qu'ils n'ont pas pris à bras-le-corps leur transformation numérique. » Il décrie une tribune publiée dans un quotidien économmique français par un groupe de sénateurs qui dénoncent « en particulier les investissements réalisés par ces puissants acteurs dans les secteurs de l'automobile ou de la santé ». Pour lui, une telle prise de position est « par définition une préoccupation diamétralement opposée à celle de la protection de l'innovation. En faire un argument, c'est révéler de façon bien naïve la véritable motivation à l'œuvre : cette force conservatrice des rentes que trahissent si souvent les réponses peu audacieuses de nos politiques aux défis lancés par les innovateurs », écrit-il.