Mais rares sont ceux qui ont joui de la notoriété du café Malakoff, niché au pied de la vieille Médina, au quartier Zoudj Aâyoun. Vieux de plus d'un siècle, ayant appartenu aux grands maîtres de ce prestigieux patrimoine musical, Hadj El Anka et Hadj Mrizek, ce lieu aux délices d'une symbolique sans égal, renoue, en ce mois sacré de Ramadan, avec sa vocation d'antan dans cette intrépide obsession de remettre au goût du jour l'âge d'or des années 1940. Et ce, grâce à l'un des plus brillants élèves du Cardinal, l'infatigable Kamel Fardjallah. Ce dernier a eu l'ingénieuse idée d'organiser des soirées musicales animées par un panel de jeunes et moins jeunes interprètes parmi les plus assidus de la scène. « Le café Malakoff incarne l'histoire des artistes depuis la fin du IXXe siècle. Vers les années 1890, il abritait des récitals donnés par les maîtres de la musique sanaâ représentée à cette époque-là par Cheikh Mohamed Sfindja (grand leader de la musique andalouse), Cheikh Saïdi qui avait pris la relève, et Edmond El Yafil (le transcripteur du corpus poétique de l'andalou)... », rappelle l'infatigable et nostalgique cheikh. Bien que fréquenté par Sfindja et toute l'élite artistique du début du XXe siècle, c'est au nom d'El Anka que le Malakoff doit son illustre renommée. Et c'est dans ce contexte, souligne notre interlocuteur, que ce dernier a commencé à émerger sur la scène (les années 1925, 26 et 27) avant de s'imposer, carrément seul, comme le principal porte-parole du répertoire. En 1938, Hadj El Anka a acheté le café dans lequel il s'était produit des années auparavant, pour le céder en 1945 à un autre monument du chaâbi, Hadj Merizek, connu pour avoir chanté « El Kahwa ou latey », « Ya Rabbi saheli marra nzour el adnan », « Ya el kadi », et dont s'est profondément inspiré, des années plus tard, le regretté El Hachemi Guerouabi. En 1976, deux années avant sa mort, le Cardinal avait racheté son café dans l'espoir de booster de nouveau l'activité artistique, frappée par les vicissitudes du temps et l'émergence de nouveaux pôles culturels aussi attractifs. El Anka n'est plus, mais pas le Malakoff, haut lieu de culture, parmi tant d'autres, de l'antique Djazaïr Beni Mezghenna, tient à ce jour son rôle de transmetteur de mémoire d'une inestimable valeur aux jeunes générations et particulièrement aux amoureux de la chanson populaire. Les portraits des grands chouyoukh et musiciens ornent toujours ses murs, comme accrochés à vie. Comme le sont d'ailleurs ces divers instruments de l'orchestration classique (mandole, tar...). Fidèle à son cheikh, Kamel Ferdjallah croit dur comme fer en la possibilité de redorer le blason de ce lieu mythique, malgré les moyens de bord dont il dispose. Son initiative est louable à bien des égards, puisque le Malakoff, après des décades de disettes, reprend sa vocation au grand bonheur des amoureux de ce répertoire qui occupent chaque soir que Dieu fait, le lieu pour vivre pour les uns et revivre pour les moins jeunes le bon vieux temps. « Nous organisons ces soirées dans le but d'aider à la sauvegarde et la promotion du chaâbi à travers la réhabilitation de ce café qui a donné à l'Algérie de très grands artistes », conclut-il en précisant que cette entreprise sera reconduite annuellement à l'avenir.