Dans une atmosphère conviviale et autour d'un café fleurant bon, les musiciens et autres mélomanes citadins se réunissaient, l'espace d'une qaâda, pour égrener leur répertoire musical. Combien en reste-t-il de ces cafés rassembleurs d'une activité citadine qui encensait les lieux des Casbadjis de volutes musicales zyriabiennes ? Aucun, nous dira un octogénaire qui, tout enfant, se rappelle du climat ambiant qui régnait au cœur et aux alentours du vieil Alger. Il éveille sa mémoire pour portraiturer quelques scènes qui avaient pignon sur rue. Qahouat Laârich, située au niveau de la rue Kléber qui n'existe plus et dont le nom est relatif à un pied sarmenteux de vigne sous lequel les amateurs de la djezoua laissaient couler leur dolce vita. Bencharif, Sfindja, Yafil, Seror et les autres Un café qui servait de réceptacle aux musiciens qui venaient décompresser en jouant des morceaux du répertoire andalou. Dans cette même vieille médina, il y avait Qahouet Bouchaâchou'e, où de vieux mélomanes citadins se rencontraient de manière assidue. Le grand maître Mohamed Sfindja, connu pour son activité artistique, fréquentait quotidiennement ces espaces. D'autres cafés maures ne désemplissaient pas de mélomanes, comme Qahouet Malakoff – qui renoue ces derniers temps avec les épigones du Cardinal – située à la rue du Vieux Palais, ou Qahouet el Boza, un autre lieu qui drainait de jeunes récipiendaires mélomanes. Alger s'enorgueillit aussi d'une pléiade de musiciens de confession israélite qui ont contribué à la sauvegarde de ce patrimoine musical classique. Quand bien même ils ne maîtrisaient pas la langue classique, ils faisaient de la poésie littéraire zyriabienne une matrice culturelle, particulièrement lors des circonstances festives. Aux côtés de Mahieddine Lakehal, Bencharif, Ahmed Sebti, Cheikh Mnemèche, Mohamed Bentefahi et autres Mustapha Kechkoul, les frères Bahar, Zemmouri dit Omar Hibi, Dahmane Benachour, pour ne citer que ceux-là, la liste de noms de musiciens juifs séfarades est longue. On peut citer Maâlem Ben Farachou qui, «(…) avec Cheikh Mnemèche, fut celui qui connaissait le plus d'airs andalous. Décédé en 1904 à l'âge de 71 ans, Ben Farachou eut l'occasion de rectifier plusieurs airs mal appris par Sfindja, Mouzinou. Quant à Saïdi, qui jouait de kouitra, c'était un musicien de grand talent. Il connaissait parfaitement le répertoire classique», écrivait Mahieddine Bachtarzi (v/Jeunesse Action, n°6, 1977). D'autres noms non moins célèbres dans le milieu musical brillaient dans le ciel du vieil Alger. On peut évoquer Lili El Abassi, chanteur andalou, Laho Seror qui excellait, dit-on, dans le jeu de la kouitra, le virtuose Saci (propriétaire lui aussi d'un café à l'ex-rue de la Lyre) qui grattait superbement la mandoline au même titre que son coreligionnaire Edmond Yafil. Studieux et persévérant, Edmond Yafil, fils de Makhlouf Yafil, prenait plaisir à écouter les airs andalous que déclamait Mohamed Sfindja. Ce qui l'amena, plus tard, à transcrire près de 500 airs qu'il prit soin de déposer à la Sacem. Il faut souligner qu'une bonne partie de la transcription de ce trésor est l'œuvre aussi de Mohamed Sfindja et du musicologue Jules Rouanet. Ce dernier était chargé de se documenter sur la musique arabe aux fins d'éditer une grande encyclopédie de musique. Après le décès de Mohamed Sfindja, le 30 juin 1908, une guéguerre opposa, par répliques interposées dans la presse, Edmond Yafil à Jules Rouanet sur la paternité de la transcription. Les échoppes, ces autres lieux d'échange et de savoir Un autre café dit Qahouet Lafnardjia, qui faisait jonction entre l'ex-rue Porte Neuve et la rue Amar Ali, où les lampistes observaient une halte quotidiennement au milieu des alladjia et autres épigones de la zorna. Aussi, à la rue dite Soukia, Mustapha Kechkoul initiait des musiciens en herbe dans un établissement musical privé, au moment où d'autres mélomanes, comme Hadj Omar Bensemmane, Mezghenna, Kezderli et autres Benguergoura et Mezaache échangeaient leur art zyriabien chez les tresseurs de tapis de jonc, les Bahar, à l'ex-rue Boutin, dont l'atelier qui ne désemplissait pas à une certaine époque a laissé place à un autre négoce. Dire que certaines échoppes artisanales faisaient aussi office de lieux de rencontre où hommes de culture, animateurs de la télévision et la radio, cadis, personnalités du 4e art et sportifs devisaient sans complexe dans une ambiance osmotique. A l'image, soit dit en passant du fameux cagibi de coiffure détenu par Mohamed Hachemi, dit Mouzaoui à la rue Souikia, jouxtant le premier cercle du Mouloudia : un réduit fréquenté par une classe éclectique, dont l'icône Abdelhamid Kzadri. Plus bas, à la pêcherie, il y avait le café de Hadj Brahim côtoyé, lui aussi, par nombre de musiciens. Le maître du chaâbi, Hadj M'hamed El Anka, avait son propre café, le café des Sports situé à la rue Hadj Omar (ex-rue Bruce). Le lieu, dont la façade revêtue de mosaïque n'est plus qu'un vestige, un lointain souvenir, où boxeurs, cyclistes et footballeurs y élisaient leurs quartiers. Des septuagénaires laissent flotter non sans une pointe de nostalgie des bribes de réminiscences de ce patrimoine immatériel. Quant aux cafés littéraires, on n'en trouve pas trace au sein du milieu citadin algérois. Hormis Nadi ettaraqui, foyer à connotation religieuse, l'espace culturel algérois se prêtait à une autre atmosphère, contrairement aux traditions de certains pays du Moyen-Orient, où le café fait office de foyer littéraire par excellence, à l'image du café Fishawi du Vieux Caire qui a vu défiler les Tawfiq El Hakim, Taha Hussein et autres Naguib Mahfoud et bien d'autres cafés à Beyrouth ou Damas, où des récits de contes sont parcourus jusqu'à nos jours devant un auditoire passionné.