Le reptile, effrayé par un soigneur, court, pataud, sur ses minuscules pattes, pour se cacher dans une flaque d'eau peu profonde. Au zoo d'Abidjan, une pouponnière à crocodiles d'une espèce africaine en danger accueille 18 jeunes pensionnaires nés à l'été 2014. Leur petite cage a été récemment construite près de l'enclos hébergeant leurs parents, 37 adultes à l'allure redoutable. Les bébés « ressemblent à des lézards ! », s'écrie Keren, 8 ans, en les pointant du doigt. « Je me demande pourquoi les petits crocodiles ont la queue si petite, alors que les gros crocodiles qui dépassent 2 m, eux, ont de longues queues ? », s'interroge Nabila, 10 ans. La différence de taille est effectivement saisissante. Et apercevoir des bébés crocodiles n'est pas si fréquent. André Zoh, le soigneur qui s'occupe d'eux depuis 2007 au zoo d'Abidjan, n'en avait jamais vu auparavant. « Avant, il y avait des naissances. Mais les petits étaient dévorés par le reste des crocodiles », explique-t-il, tout en saisissant entre le pouce et l'index l'un des bébés, incapable de mordre ou de remuer pour se défendre. Ce projet de pouponnière pour reptiles a été lancé dans les années 1980 pour aider à la conservation du « faux gavial » africain, un crocodile à long museau qui vit en Afrique centrale et de l'Ouest, une espèce en danger, explique Samouka Kané, le directeur du zoo. Suspendu en 1999 « faute de financements », alors que la Côte d'Ivoire s'apprêtait à entrer dans une décennie de crise politico-militaire sanglante (1999-2011), il a été réactivé en 2014 dans l'objectif de « multiplier le nombre d'animaux » et « in fine essayer d'en relâcher quelques-uns » pour « repeupler la nature », ajoute Kané. En mai-juin 2014, les soigneurs du zoo sont ainsi partis à la chasse aux œufs de crocodiles. Accroupis dans le grand enclos, ils les ont découverts après avoir creusé délicatement à la main dans de gros tas de sable et de végétaux où leurs mères les avaient cachés. De vieux frigos pour incubateurs Les dizaines d'œufs récoltés ont ensuite été placés dans des couveuses rudimentaires : de vieilles caisses de réfrigérateurs maintenues à une température constante. Parmi ces œufs, 22 ont éclos et 18 ont survécu. « Un taux satisfaisant », affirme Matthew Shirley, un spécialiste des crocodiles à Abidjan. 110 œufs ont été récoltés cette année. Les « crocodilos », comme les surnomme le directeur du zoo, ont doublé de taille en un an, passant de 27 à 54 cm de long, queues comprises, remarque Shirley, qui travaille pour la Fondation de conservation des espèces rares. « Nous espérons qu'ils atteindront un mètre en trois ans. Mais peut-être que cela en prendra dix », dit-il. Mais un tel projet coûte cher, trop cher, pour le zoo. La petite cage des « crocodilos » a d'ailleurs dû être construite par des bénévoles. Quant à l'alimentation des adultes, elle est en partie assurée par une entreprise d'élevage de poissons, qui fournit chaque jour des dizaines de kilos de poissons morts. Un projet de partenariat avec le zoo de San Diego, qui permettrait de régler ces problèmes financiers, est en discussion depuis plus d'un an. Les négociations traînent par « manque d'efficacité des autorités », dont certains membres cherchent aussi à maximiser « leur intérêt personnel », peste une source proche du dossier, alors que le temps presse pour cette espèce de crocodiles en danger. Le faux gavial africain a été chassé « massivement » dans les années 1960 à 1980 pour sa peau, notamment en Côte d'Ivoire, puis fragilisé par la déforestation, qui a détruit son habitat. « Il ne doit pas rester plus de 400 à 500 faux gavials dans toute l'Afrique de l'Ouest, du Nigeria à la Gambie », estime Matthew Shirley. L'impact des réintroductions permises par le zoo d'Abidjan pourrait être significatif.