Dans une scène inédite d'exode à grande échelle, les naufragés syriens du « printemps arabe » ont voté avec leur pied le choix du rêve allemand caressé au bout de la longue marche à travers l'Europe méridionale et centrale. L'Autriche a heureusement ouvert ses frontières aux nouveaux damnés de la terre. La main tendue austro-allemande ne prémunit pas toutefois Budapest de « ses obligations européennes, y compris celles liées à l'accord de Dublin » régissant les régimes d'asile dans l'UE, a précisé le chancelier autrichien, Werner Faymann, au Premier ministre hongrois. L'Europe qui ne sait plus parler de la même voix est fondamentalement piégée par le drame des migrants qui a mis a nu l'alibi humanitaire dont se gargarisent les apôtres du « printemps arabe » des dérives sanglantes et du chaos généralisé. Dans le camp des réticents, bénéficiant largement du droit d'asile lorsque le « printemps européen » soufflait sur le bloc de l'Est, les barricades sont légion. Elles attestent du refus de toute solidarité clairement exprimée par le Parlement hongrois décrétant le durcissement de la législation en matière de répression de l'immigration illégale (3 ans de prison) et renforçant les possibilités de déploiement de l'armée aux frontières. La République tchèque du Premier ministre, Bohuslav Sobotka réclame des « mesures viables » lors de la réunion des ministres européens de l'Intérieur du 14 septembre pour faire face à la situation chaotique à travers un contrôle des frontières, la lutte contre les passeurs et la mise en place de nouveaux « hot spots », des centres d'accueil et de tri des migrants dans les pays où ils arrivent. Pour sa part, le Premier ministre slovaque Robert Fico a déclaré que les mécanismes automatiques étaient inacceptables. Sous la pression de la marée humaine (300.000 personnes ont traversé la Méditerranée depuis le début de l'année), l'Europe a étalé ses divisions. « L'Europe doit arrêter de susciter des rêves et des espoirs irréalistes », a souligné son ministre des Affaires étrangères, Peter Szijjarto, de Hongrie, critiquant vertement l'Allemagne pour son refus de renvoyer les migrants syriens vers les pays d'entrée. Entre l'Est et l'Ouest, rien ne va plus, relève le président du Conseil européen Donald Tusk. « Nous vivons un moment de vérité dans l'histoire européenne. Nous pouvons réussir, ensemble et unis, ou nous pouvons échouer chacun à sa propre façon, dans son propre pays, ou sur ses propres îles », a jugé le numéro deux de la Commission européenne, Frans Timmermans, en visite dans l'île grecque de Kos. Dans l'autre Europe de la solidarité active l'espoir se lève. « La discussion a été difficile mais je garde espoir et, en tout cas, aucun pays ne peut avoir l'illusion qu'il n'est pas concerné », a affirmé la haute représentante Federica Mogherini pour rendre compte du débat « pas facile » des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne réunis hier à Luxembourg. Dans un climat tendu, aggravé par le rejet des « quotas » obligataires par le « groupe de Visegrad » (République tchèque, Pologne, Hongrie, Slovaquie), la commission européenne va proposer une juste répartition des 120.000 réfugiés et exiger, a contrario, des compensations financières -pour une durée limitée- et « des raisons objectives » aux récalcitrants. Dans cette « épreuve historique », les ministres français, allemand et italien des Affaires étrangères plaident pour une action vigoureuse dans une lettre adressée à Mme Mogherini. Le temps d'une approche globale, nécessitant un programme ambitieux pour la Syrie, la Libye, le Sahel, la corne de l'Afrique et les Balkans, est recommandé par les trois ministres européens appelant à la mise en œuvre d'un véritable programme d'aide dans le domaine humanitaire, celui de l'éducation, le contrôle des frontières, la reconstruction de l'Etat de droit et la fixation des canaux d'immigration légale.